vendredi 21 mai 2010

SEPULTURA : ARISE


Je vous vois déjà hausser les sourcils... Une bâtisse organique dotée d'un visage décomposé règne au centre d'un lac nauséabond, non loin d'une terre jaunâtre. De plus, en lettres tremblotantes forment le mot "Sepultura", aux consonances qui n'ont rien d'encourageant. Et encore, vous n'avez pas vu les têtes des musiciens, aussi peu avenantes que possible, en quatrième de couverture. Pourtant, Arise est une merveille de Thrash Metal (à ne surtout pas confondre avec le Death), sortit en 1991, comme pour fêter la chute de l'URSS, avant la reconversion de Sepultura en Metal plus lourd encore. Mais on est loin du fameux "Roots Bloody Roots" qui n'a pourtant pas grand chose à envier à certains titres de Arise.


A citer en premier lieu, le morceau d'ouverture du disque, qui lui a donné son nom. Ce titre démarre abruptement à la suite de sons nébuleux mais non moins sépulcrales. Soudain le signal est donné et une véritable performance rythmique, de cohésion parfaite, s'enchaîne rapidement dans une cavale menée par le vocaliste Max Cavalera, tandis que Andreas Kisser embrasse les coups percutants du batteur Igor Cavalera ( du même nom que le chanteur) pendant que l'énigmatique bassiste Paulo Jr. oeuvre de concert avec ses éminents collègues afin de donner un peu plus de poids à la mélodie. On remarquera que les paroles sont presque compréhensibles (même sans le livret). C'est la recette de Sepultura pour cet album : des riffs lourds joués frénétiquement, mais sans la moindre défection rythmique car, comme tout bon groupe de Thrash qui se respecte, les artistes misent beaucoup sur les percus. Ils développent d'ailleurs une certaine originalité dans leur intros de morceau en utilisant des synthétiseurs ainsi que des boites à rythme original qui balance la sauce dans un mélange de Metal et d'Industriel. C'est d'ailleurs le milieu du mouvement indu, en ce début des années 1990, ce qui laisse penser que Sepultura en est l'un des promoteurs - ou reprend en tout cas des éléments des premières créations mécaniques...


Le groupe utilise différents moyens mis à sa disposition, tels que des pédales d'effet multi-fonctions. Cependant, force est de remarquer une utilisation relativement raisonnable de la saturation des gratteux, contrairement aux us et coutumes de ce domaine. Ainsi, les mélodies sont plus aisées à comprendre. De plus, ils utilisent à merveille leur duo guitar rythmique / guitare mélodique. Ainsi, sur un fond extrêmement violent et grave maintenu par la première et la basse surgit comme une giclée de sang d'une trachée ouverte des riffs suraigus provoqués par la deuxième guitare ("Desesperate Cry"). L'ensemble forme d'agréables transitions aux couplets vocaux. Bon, d'accord, au niveau des paroles, on n'a rien de fondamentalement nouveau, avec comme thèmes des sacrifices, des meurtres et autres joyeusetés, avec en bonus spécial un cri -ou plutôt un hurlement - maladif avec "Infected Voice", le morceau de clôture. Mais Arise présente bon nombre d'originalités en comparaison aux prémices du Metal, dans les années 1980 (comme quoi, c'est un mouvement qui tient un bon bout de temps, malgré les cris offensés des individus de la vieille école dont les oreilles peinent déjà à supporter un bon vieux Deep Purple...). Je jette une attention sur "Altered State" ( encore un morceau sur les bas côtés de la société ), et en particulier sur son introduction saisissante dans laquelle un hurlement bestial est lancé d'une façon très habile avec un simple accord de gratte. L'atmosphère originelle déjà sombre voit sa part de ténèbres se décupler, et nous sommes fin prêt pour la suite du titre...


Anecdote amusante, si vous achetez, ou plutôt quand vous achèterez Arise - si ce n'est pas déjà chose faite -, vous aurez alors accès à tout un panel de photographies plus ou moins ridicules (à leur décharge, c'était la mode en ces temps anciens), vous observerez que chaque membre exhibe fièrement un large tatouage au moins, généralement sur les bras. A présent, rendez-vous en fin de livret que votre humble serviteur a épluché tout spécialement pour vous (vous en avez, de la chance...), et vous pourrez lire l'identité de leurs tatoueurs... Ainsi, grâce à Sepultura, si d'aventure vous choisissez un jour de franchir le pas, vous saurez à qui vous adresser... Vous l'aurez deviné aux noms, Sepultura est un groupe brésillien. Ce qui ne les empêche pas de chanter en anglais. Dommage, je me demande ce qu'aurait donné du Thrash en Catalan... On peut les voir sur une adorable photographie en compagnie d'enfants en Afrique, ce qui provoque un certain contraste, mais passons. Pour conclure, Arise est l'un des meilleurs albums de Sepultura, relativement ignoré, cependant, à cause de la variation qu'il constitue par rapport à l'habitude, tout en restant du bon vieux Thrash joué avec une virtuosité certaine.


Note : ****1/2


Liste des morceaux :


1. Arise

2. Dead Embryonic Cells

3. Desesperate Cry

4. Murder

5. Subtraction

6. Altered State

7. Under Siege [Regnum Irae]

8. Meaningless Movements

9. Infected Voice


dimanche 16 mai 2010

CECIL TAYLOR : THE WORLD OF CECIL TAYLOR


De nombreuses rumeurs courent sur la mystérieuse identité de l'inventeur du free jazz. Afin de ne pas polémiquer sur ce sujet trop nébuleux, on se contentera de dire que Cecil Taylor en est l'un des principaux promoteurs. Certes, on peut citer Coltrane quelques décénies auparavant pour contrer cette affirmation, mais Taylor est à l'origine d'une véritable révolution dans le cadre du piano-jazz. Américain né en 1933 à New York, il a pu profiter de la prestigieuse école (un collège) locale de musique, grâce à laquelle il a pu développer une sensibilité musicale aigue et une culture qui lui permettront de devenir le géant qu'il est devenu. Cependant, il est passé par des phases assez expérimentales, des "bêta test" qui laissent un peu à désirer. Elles sont malgré tout intéressantes à écouter, comme c'est le cas du disque "The World Of Cecil Taylor".

D'aucuns qualifieront la musique de Cecil Taylor de bruitiste, dans un sens péjoratif. Vous pourrez répliquer d'un ton désinvolte que la "noise music", ça existe et que c'est vachement bien (toutes choses égales par ailleurs). Mais Taylor ne fait pas du noise, mais du free-jazz, un dérivé plus expérimental de la définition originale du jazz. Il part certes sur les mêmes bases, mais sa musique s'envole ensuite dans des dimensions moins règlementaires. Adieu la tradition tant aimée de la soul et des gammes tenues tout le morceau pour le maintenir en place ! Seule la contrebasse voit son rôle rester le même (et encore, elle vogue dans des gammes inédites au bon plaisir du musicien...). Plus que jamais, le batteur s'embrase sur des parties rythmiques ardues à suivre qui ne sont finalement réellement comprises que par lui-même. Et bien sûr, la grande innovation de Cecil Taylor a lieu au niveau du piano, qu'il fait rugir avec une virtuosité originale signée de sa patte, démontrant une fois encore -car ce disque des années 1960 est loin d'être son premier, si ce n'est la collaboration avec la maison CANDID, qu'il privilégiera de longs cycles durant encore - sa capacité à enchaîner des phrases musicales sans rien en commun, tantôt très mélodiques, tantôt plus grinçantes et percutantes. Jouez l'accord Do-Fa#, et vous aurez une idée minimaliste de ce que donnent des dizaines de minutes dans cette tonalité.

Le disque commence avec "Air", avec une introduction rageuse à la batterie, signée Dennis Charles. Puis un dialogue entre phrases pianistiques débute entre une voix colérique et hachée et une autre unie et plus douce. Enfin arrive Archie Shepp, un saxophoniste réputé dans l'univers du jazz, qui ajoute une teinte cuivrée à l'ensemble. C'est le morceau le plus agité de l'album, qui a été enregistré en plusieurs prises. Un amis de notre pianiste, qui assistait à la séance, parlait de "chaos contrôlé", qualificatif convenant parfaitement à la piste. Le morceau suivant, "This Nearly Was Mine", est une improvisation plus traditionnelle. Taylor s'en tient à une stricte composition blues, comme pour rappeler qu'il tire son inspiration de ce genre. Les deux derniers morceaux lui ressemblent plus, avec des séries d'accord, des enchaînements d'accords violents qui se succèdent avec une légèreté particulière à l'artiste.

Cependant, c'est l'une des plus grosses difficultés de ce disque de Cecil Taylor. Si bon nombre de passages sont parfaitement contrôlés, d'autres, plus obscurs, sont plus difficilement compréhensibles. On a alors presque l'impression de frime non retenue, d'un artiste qui joue n'importe quoi en se reposant sur sa réputation expérimental. Un morceau ne doit pas forcément être musical pour être bon. Mais il doit alors il y avoir une signification au "bruit" qui nous parvient. C'est un reproche applicable à bon nombre de groupes de musique bruitiste. Quel est le sens du morceau ? S'il faut être assez réceptif pour apprécier du Cecil Taylor, sa difficulté d'écoute ne justifie pas tout. Il met en valeur des enchaînements de sons, impressionnants certes mais pas si ardus pour un claviériste professionnel. D'où la sensation de frime parfois perceptible. Une fois encore, un morceau ne doit pas être difficile pour être bon, mais il faut faire la nuance avec l'action de faire croire à une réelle difficulté finalement inexistante. Fort heureusement, ces extraits sont très minoritaires dans The World Of Cecil Taylor et ne font que ternir l'allure d'un très bon disque, toutes choses égales par ailleurs, et on se laissera bercer par un jeu qui lui est si propre, et qui se refuse à toute fausse note involontaire -rendons à Cecil Taylor ce qui lui appartient.

Note : ***1/2

Liste des morceaux :

1. Air (8.45)

2. This Nearly Was Mine (10.46)

3. Port Of Call (4.14)

4. E.B. (9.55)

5. Lazy Afternoon (14.43)

samedi 15 mai 2010

HAWKWIND : SPACE RITUAL


Si vous aimez le space rock, vous ne pouvez pas ne pas connaître Hawkwind. Ce groupe plus que nébuleux en a surpris plus d'un par ses titres étranges ou par un mauvais goût très sensible. Ainsi, leur live le plus connu, Space Ritual datant de 1973 a pu choquer les âmes sensibles - s'il est possible que de tels individus aient pu aller voir Hawkwind en concert. Aussi, quelle idée d'embaucher une prostituée pour danser nue sur scène ! Et je ne parle même pas de l'ambiance malsaine et provocante que diffusent des lumières éphémères aux teintes douteuses... Et le tout finalisé par une pochette aussi psychédélique que sectaire, comprenant des signes aux significations peu évidentes. On a le droit à la totale, dans une atmosphère mystique, ce que suggère l'intitulé "Space Ritual".

En tant que groupe progressif à essais expérimentaux, Hawkwind montre une fois de plus sa capacité à plonger ses spectateurs dans le bain avec une introduction très spéciale et particulièrement spécifique à la bande. Ainsi est né "Earth Calling", un amoncellement inventif de sons tous plus bizarres les uns que les autres, impossibles à identifier, bien sûr (ah! Les miracles du Mini-Moog...) mais évocateurs d'une tentative de communication presque obscène avec des entités externes. Si vous entrez en possession du disque et du livret joint, vous aurez l'immense plaisir de connaître l'histoire en relation avec ce morceau très court. Si l'on oublie le fait qu'elle ait probablement été imaginée sous acide ( ou sous amphets, avec hawkwind, on ne sait jamais...), elle est finalement assez révélatrice de la mentalité obscure des musiciens, qui ont du adorer voir Star Wars... Sans transition, le groupe passe à l'un de leurs plus gros succès : "Born To Go". Ce titre est caractéristique de la musique Hawkwindienne : la basse de Lemy - futur fondateur de Motorhead, à la suite de son éjection douteuse d'Hawkwind - qui donne un tempo tant lourd que violent en parallèle avec le batteur Simon King, le roi des rythmes ésotérique, après, bien sûr, l'indétrônable percussionniste de Tool. Par dessus, les voix un peu éraillées d'à peu près tout le monde, et bien sûr leurs éternelles sonorités faites au synthétiseur (Del Dettmar, qui a l'air de bien s'amuser...). De temps en temps apparaît un saxophone ou une flûte, instruments fidèles à l'originalité du groupe.

Etrangement, ils ont fait passer Camel en première partie. Ce groupe progressif bien sympathique mais très doux a probablement juré en comparaison avec la violence débridée de la partie principale. Mais on pouvait presque s'y attendre. Hawkwind, les rois des contrastes, mélangent des chants douteux violents à de véritables récitations de poèmes sous fond de synthétiseur. Car ils ont un poète attitré, au nom de Bob Calvert. Bobby s'occupe aussi des "swazzle" -je tente encore de déterminer ce dont il s'agit précisément. En tout cas ils ne devaient pas beaucoup s'agiter sur scène, au risque omniprésent de s'empêtrer dans l'énorme tas informe de cables de tous types, masse monstrueuse qui a du être démêlée après le concert...

Une question que chacun peut se poser lors d'un concert d'Hawkwind : les musiciens sont-ils drogués sur scène ? Dans les années soixante dix, répondre "oui" ne constituait pas une prise de risques démesurée, surtout quand un champignon vénéneux, un dromadaire et un palmier sont présents en tête d'affiche... Quoi qu'il en fut pour Space Ritual, les membres d'Hawkwind se sont comportés ainsi que de véritables possédés, plus encore qu'en studio (ce qui n'est pas peu dire !), allure complétée par leur talent certain à effectuer des réglages spéciaux tant que spatiaux à travers les nombreux amplis, filtres et micros dont ils disposent. Ainsi, ils parviennent à donner la sensation d'être dans un autre univers, une autre dimension que les spectateurs à quelques mètres d'eux seulement. Cet effet appliqué à leurs voix est particulièrement saisissant, d'autant plus lors des récitations de textes de leur cru. Ils appliquent aussi cet effet aux deux gratteux, et bien sûr à la batterie, ce qui parvient presque (pas tout à fait, il ne faut pas exagérer) à reproduire un son semblable à celui de Nani Neumeier, éminent percussionniste de Guru Guru... Quant au synthé... Est-il vraiment nécessaire d'ajouter un effet bizarre à un synthé ? Dans tous les cas le résultat sera à la hauteur...

Ainsi, Hawkwind nous gratifie avec Space Ritual D'un double CD ( bah quoi ? C'est toujours une motivation supplémentaire...) merveilleux qui vous propulsera au pays des fées, des farfadets et des champignons à travers la tournée mémorable et transcendante du groupe le plus spacial de tous les temps et probablement l'un des plus shootés aussi... De quoi faire regretter à Lemy ses folles années de jeunesse !

Note : ****1/2

Liste des morceaux :

Disc 1

1. Earth Calling (1.46)

2. Born To Go (9.56)

3. Down Through The Night (6.16)

4. The Awakening (1.32)

5. Lord Of Light (7.21)

6. Black Corridor (1.51)

7. Space Is Deep (8.13)

8. Electronic No. 1 (2.26)

9. Orgone Accumulator (9.59)

10. Upside Down (2.43)

11. 10 Seconds Of Forever (2.05)

12. Brainstorm (9.20)

Disc 2

1. 7 By 7 (6.13)

2. Sonic Attack (2.54)

3. Time We Left This World Today (5.47)

4. Master Of The Universe (7.37)

5. Welcome To The Future (2.03)

Bonus Tracks

6. You Shouldn't Do That (6.55)

7. Master Of The Universe (7.26)

8. Born To Go (13.04)

vendredi 14 mai 2010

COIL : MUSICK TO PLAY IN THE DARK VOLUME 1


La première moitié des années 80 aura vu le raz de marée industriel à peine engagé s'abattre sur toute l'Europe pour se propager en une myriade de ruisseaux indépendants. Si l'implosion de Throbbing Gristle et la réincarnation de Genesis P-Orridge dans Psychic TV on donné le coup d'envoi à toute les dérives/délires imaginables par l'esprit d'un fanatique païen convaincu (du néofolk de Death In June au Dark Ambient de Lustmord en passant par la Dance de My Life With The Thrill Kill Kult au début des 90s), le plus fascinant de tout ces projets reste, à ce jour, Coil. Fœtus improbable régurgité par Psychic TV dés 1983, les frères siamois les plus mystérieux de tout les temps ramassent les étrons les plus puants de la new wave pour ériger une oeuvre aux pulsions les plus basses de l'homme.

Au commande, Peter Christopherson, ancien d'Hipgnosis, ingénieur du son, graphiste, et musicien à ses heures perdues, découpe furieusement les performances du jeune John Balance, créature au timbre insaisissable. Comme la plupart des rejetons de Genesis P-Orridge, Christopherson et Balance cultivent un désir de rester underground (les disques sont tirés à quantité homéopathique et les réeditions sont rares) ainsi qu'une passion qui va au delà de la musique : co-fondateurs du Temple Of Psychick Youth (organisation artistique douteuse prenant aisément le visage d'une secte ou simple délire club Harry Potter c'est au choix), le duo n'hésite pas à flirter avec les concept musicaux les plus délirants : de rituel en invocations douteuses, Coil parvient à tisser une musique d'un noir profond, sale, teintée d'un profond dégout pour l'industrie de la musique et le monde en général. Et si Scatology, malgré son terrifiant "Tainted Love" peut décevoir ceux qui attendaient mieux des auteurs du single "How To Destroy An Angel", Horse Rotorvator réussit en tout point là où son prédécesseur peinait à convaincre. C'est en sondant cet immense gouffre à espoir qu'on trouve quelque uns des morceaux de Coil les plus frappants : "The Anal Staircase", "Penetralia" "The Five Minute After Violent Death", et surtout "Ostia (The Death Of Pasolini)" toile Dalienne sanglante écrasant par sa beauté toute les tentatives des néofolkeux de Current 93 et Death In June (le groupe voyait dans le cinéaste assassiné une de ses plus grandes influences.)

Puis, pendant les cinq ans qui les séparent de leur prochain disque studio, Balance et Christopherson procrastinent, évitent le sujet, collaborent, sortent des remix, des démos, des lives de qualités variables, jusqu'à ce que le problème devienne inévitable. Love's Secret Domain va remettre à sa place toute une génération de branleurs accros aux biftons et aux rave party. En réinventant la Dance, la House et la Techno en générale, Coil fait valoir ses droit au côté de Psychic TV, les deux groupes s'intronisent pape de tout une vague qui déferle sur le monde entier. Puis c'est de nouveau le repos pour Coil qui s'éloigne peu à peu de la Dance et se perd à nouveau en side projects et collaborations douteuses : la bande originale de The Angelic Conversation de Derek Jarman se révèle être un monument d'ennui, Worship The Glitch est une catastrophe inécoutable. Et si le duo sort la tête hors de l'eau avec un disque de drone, Astral Disaster, c'est avec Musick To Play In The Dark Volume 1 que la rédemption salvatrice daigne enfin émerger.

Et qui sait ? Peut être que près d'une décennie de branlette stérile, de complaisance déplacé et d'autosatisfaction y sont finalement pour quelque chose quand à la réussite sans tache que représente la nouvelle livraison de Coil, achevée à l'aube du nouveau millénaire. Car loin d'avoir effectué un vain retour au source prétendument vivifiant, faux pas dans lequel de nombreux artistes tombent trop souvent, le duo n'a jamais sonné aussi en avance sur son temps.

Enfin le voila ce frisson que Coil avait perdu dans ses délires labyrinthiques, le soubresaut de terreur qui anime tout être normalement constitué à l'écoute de "The Anal Staircase" est toujours là, tapi au fond de "Are You Shivering?", recroquevillé dans le son de ce synthétiseur mort né qui remonte lentement le chemin des enfers jusqu'à éclater dans un grincement d'outre espace. Toujours là cette terreur lascive, ce désespoir dévorant, mais cette fois il vient du plus profond de notre être. Mais ce sonar menaçant laisse bientôt place à l'homme dans toute sa faiblesse : l'espace d'une minute les sanglots de Balance hachés par les machines de Christopherson retentissent seuls. Puis à l'unisson les deux thèmes s'enlacent, et laissent le texte s'écouler lentement. La voix de John Balance est plus vaste que le cosmos alors qu'il tente de décrire la lente plongée dans les ténèbres qui se commence et se termine avec l'Ecstasy.

"Are you shivering? Are you cold?
Are you bathed in silver or drowned in gold?
This dream's a vitality
[...]
O river of silver, O river of flowers
I lie down and shiver in your silver river
Out drips the last drop of this vital fluid"

Alors que les derniers coeurs de "Are You Shivering?" s'évanouissent, c'est le thème de "Red Birds Will Fly Out of the East and Destroy Paris in a Night" qui s'installe lentement. Fulgurance géniale, le duo brode à volonté sur un motif easy-listening, montant le morceau en une gigantesque fournaise où se côtoient nappes d'orgues, boucles folles et sample fugitifs. Le résultat est d'une rareté notable : comme assister au bombardement d'une ville à la place du pilote. Le brasier grandit jusqu'a une gigantesque saturation bruitiste qui réduit le grand incendie à quelques flammèches dans les dernières minutes du morceau.

Au tour de l'énigmatique "Red Queen" d'installer son ambiance, lentement, insidieusement, à coups de vagues bourdonnantes et claquantes, jusqu'à cet accueil d'outre-espace qui ouvre le bal et dessine le rythme effacé sur lequel le piano de Thighpaulsandra fait son intrusion : jouant sans thème, le clavier semble naviguer loin de tout port d'attache, impassible aux interrogations indéchiffrables du chanteur.

"Is it so unsafe when you are ?
Insecure in the space where you are?
Is it so, really so,
Is it more real?
Is it more yours?
Is it more yours?
Is it more real, for you,
Than it is for him or me?"

Inexorablement, la musique se fait de plus en plus insolite, de plus en plus abstraite et inconnue. Les faibles attaches qu'on gardait avec le monde réel sont enfin dénoués avec "Broccoli", mantra atonale sur rythme de radio détraquée et chœurs esquissés. Répété tout au long du morceau sur deux registres, chantés par Balance et Christopherson. Le poème de "Broccoli" reste à ce jour un des textes les plus obscurs de Coil.

"Wise words from the departing
Eat your greens, especially broccoli
Remember to say "thank you" for the things you haven't had
By working the soil we cultivate the sky
We embrace vegetable kingdom
The death of your father, the death of your mother
Is something you prepare for

All your life
All their life"

Arrive enfin le dernier stade de délire de ce premier volume des musiques à écouter dans le noir : "Strange Birds" est là pour rappeler à la génération "Dark Ambient" qui sont les véritables inventeurs de la musique qui s'amuse à faire peur en se passant d'instrument. Des bruits d'oiseaux ponctuées de bourdonnements de synthétiseurs, entrainés par une boite à rythme grésillante et un bref délire occultiste... Pourtant "Strange Birds" est au moins dix fois plus efficace que la plupart des bouses que Coil a pondue au cours des années 90. En fait, la structure réelle du morceau et la longue montée sonore des synthétiseurs qui laisse peu à peu place à ces cris d'oiseau obsédant installe bel et bien une atmosphère de paranoïa, de malaise.

Et comme chacun sait, le plus beau arrive toujours à la fin. Et si "The Dreamer Is Still Asleep" amorce un retour à une certaine réalité musicale (une mélodie, un rythme...) c'est pour mieux nous faire plonger dans l'imagination fascinante de Coil. Voila ce qu'est "The Dreamer Is Still Asleep", le plus beau rêve jamais mis en musique. Un songe sans fin porté par une mélodie fantomatique qui semble pouvoir se répéter jusqu'à la nuit des temps, des nappes d'orgues, des cœurs s'étirant sans fin, et des paroles d'une beauté énigmatique.
Et quand enfin les dix minutes de cet ultime flagrance hypnotique sont terminées et qu'on crois le disque conclus, on tente enfin d'émerger de Musick To Play In The Dark Volume 1, mais rien n'y fais. Si "Are You Shivering?" est une porte d'entrée, celle ouverte par "The Dreamer Is Still Asleep" ne fait que vous entrainer encore un peu plus dans cet univers si étranger.

A vrai dire, il n'existe pas de porte de sortie...


"Hush/ may I ask you all for silence?/ The dreamer is still asleep..."

Note : *****

Liste des morceaux :

1. "Are You Shivering?"
2. "Red Bird Will Fly Out Of The East And Destroy Paris In One Night
3. "Red Queen"
4. "Broccoli"
5. "Strange Birds"
6. " The Dreamer Is Still Asleep"

Du même artiste :

Vous allez aimer :

- The Ape Of Naple
- Astral Disaster
- Horse Rotorvater
- Black Antlers

A éviter :

- Musick To Play In The Dark Volume 2
- The Angelic Conversation
- Worship The Glitch








SPARKS : KIMONO MY HOUSE


Des années 1970 est issue une tripotée de groupes décalés ou complètement névrosés (pas tous bons, comme aimerait nous le faire croire la rumeur...), et les Sparks - ou plutôt Sparks tout court - en sont un exemple particulièrement remarquable. Deux bonhommes américains, Ron et son frère Russel Mael, ont mis au monde ce groupe qui sévit aujourd'hui encore dans nos discothèques... Deux ans après la création officielle de Sparks, en 1974, ils ont sorti leur chef d'œuvre encore inégalé, je cite Kimono My House, qui ne pourra être placé, ainsi que l'ensemble de leurs créations, que derrière la catégorie "indépendant", ou "Sparks" pour les tatillons. L'on peut noter que c'est cet album qui les a, dans une certaine mesure, rendus célèbres au regard de ceux qui prétendent à juste titre écouter de la musique.

Kimono my House débute sur leur titre le plus célèbre : "This Town Ain't Big Enough For The Both Of Us" qui sera réutilisé à diverses occasions (la dernière en date : "Kick Ass" -sisi, écoutez bien...). Une mélodie entêtante répétée en boucle enfle avant le début réel du morceau, ce qui constitue une introduction agréable au disque. Les deux frères se serviront de ce que leur époque leur propose : un piano, un orgue, quelques discrets synthés, batterie, basse, gratte et tout le tralala, ainsi que les (indispensables) bruitages de sons de pistolet et autres sonorités qui ressortent comme autant de cerises sur le gâteau. Les deux Mael se distinguent grâce à leurs voix aigues, mais cependant claire et douce - sans failles. Un vrai plaisir ! Parfois, ils font même penser à une paire de jeunes femmes dans un studio d'enregistrement tellement leur jeu vocal est naturel et précis. Ils ne laissent que peu de surprise dans leur musique, annonçant dans une intro au début de la quasi-totalité des morceaux la couleur souvent sucrée de ce qui va suivre. On se laisse ainsi bercer par des mélodies simples, ou à peine plus complexe, et par la voix formidable des deux compères.

Le piano a un rôle prédominant au sein de leurs productions. Il suit, plus régulièrement que la guitare, la mélodie et accompagne les chanteurs, confortant l'idée de la douceur élaborée des morceaux. Sparks est assurément l'un des groupes les plus déjantés de son époque. Avant Mr. Bungle, ils n'hésitent pas à donner un aspect de dessins animés à leurs mélodies, ou de boîte à musique avec un xylophone... ce qui rend leurs créations si originales. Ils se renouvellent sans problèmes, non seulement dans leurs morceaux mais aussi à travers le temps. Ainsi, Kimono My House se distingue nettement de Propaganda, Hello Young Lover, ou encore de leur dernière création, Exotic Creature Of The Deep. Mais ils ne poussent pas le dépaysement jusqu'au sein des albums.

On peut noter un duo vocal des deux frangins dans Equator : tandis que l'un répète le terme "equator", l'autre part en improvisation en chantant, à la façon d'un guitariste pris dans un solo endiablé. Mais avec sa voix. Cet extrait est un bon exemple de leur capacité... Ils ont ainsi le talent de créer des mélodies à vocation. On en retrouve d'ailleurs plusieurs dans des oeuvres cinématographiques diverses, dans des publicités... Cependant, pour une raison qui continue à m'échapper, sur trente individus bêta, un seul aura connaissance du nom "Sparks"... C'est l'un des cas dans lesquels la qualité de la musique dépasse la célébrité des musiciens. Mais au fond, est-ce un mal ? Peut-être est-ce l'un des éléments qui permettent à Sparks de demeurer aussi peu commercial et de continuer à tirer de bons albums - bien que tout ne soit pas parfait dans l'ensemble de leur œuvre, toujours pas arrivée à terme d'ailleurs... Enfin bon, ils ont malgré tout suffisamment de renommée pour ne pas être rejetés par leur éditeurs, et les papis qu'ils sont aujourd'hui continuent à bosser ferme pour notre plus grand plaisir... sans que leur voix change d'un iota. Miracle de la science, d'une entité supérieure musicale ou du corps humain, le fait nous arrange bien et nous pouvons espérer écouter leurs productions de longues années durant. A présent, une note évidente pour leur meilleur album :

Note : *****

Liste des morceaux :

1.This Town Ain't Big Enough For The Both Of Us

2.Amateur Hour

3. Falling In Love With Myself Again

4. Here In Even

5. Thank God It's Not Christmas

6. Hasta Manana Monsieur

7.Talent Is An Asset

8. Complaints

9. In My Family

10. Equator

11. Barbecutie

12. Lost And Found