vendredi 17 septembre 2010

A TRIBE CALLED QUEST : THE LOW END THEORY


New-Yorkais casquetteux et au T-shirt trop large, les membres de "A tribe called quest" ont néanmoins du talent. On tombe ici dans l'un des grands stéréotypes du Hip-Hop, mais le disque n'en n'est pas moins excellent. Ce groupe des années 1990 ("The Low End Theory" est leur deuxième album) a une conception bien précise de ce genre très controversé. Ainsi, la deuxième entité remerciée après Dieu est composée de tous les "vrais" groupes de Hip-Hop. Ils n'observent en effet pas d'un bon oeil les dérivations de ce style lors de cette période, et préfèrent demeurer des "vieux de la vieille". Ils s'en tiennent aux méthodes des premiers rappeurs... Telle est la ligne de conduite de ces compères qui vont nous en faire voir de toutes les couleurs (principalement du rouge et du vert...).

L'album commence très fort par "Excursions", l'un des morceaux les plus impressionnants du disque. Une ligne de basse à faire bander un rocher, une boîte à rythmes soigneusement dosée, et la machine est mise en route... L'on peut considérer deux parties dans le disque. Tout d'abord, une première moitié pleine de punch, réalisée avec une main de maître énergique, mais qui sera suivie d'une seconde, plus posée sans baisser de niveau. Les syllabes presque chantées s'enchaînent fluidement, à la fois marquantes et relâchées, toujours sur fond de basse aphrodisiaque et de battement tonique électronique... Finalement, l'ensemble est entraînant, bien géré et dense, sans être lancinant - un problème récurrent dans le milieu. Des extraits à l'orgue électronique, ou instrument avoisinant, viennent éclaircir le tableau, relativement sombre et résolument affirmé. Les jeunes rappeurs, supporters du "stop the violence movement", content dans une volée de plaisir les difficultés de beaucoup de banlieusards - Américains, en particulier - à survivre dans une société qui ne leur accorde pas forcément toutes leurs chances... Ce sont ainsi des paroles très sociologiques qui dénoncent certaines violences actuelles trop souvent impunies au sein de beaucoup de banlieues, du racket au viol, en passant par la corruption. On reste ainsi dans une thématique classique des débuts du Hip-Hop (mais aussi, dans une certaine mesure, du Hip-Hop actuel), qui dénote une fois encore de la volonté du groupe de demeurer dans l'esprit originel.

Si A tribe Called Quest excelle dans son art, c'est en bonne partie grâce à une excellente utilisation des "samples", de bandes pré-enregistrées ou empruntées à d'autres artistes passées dans le morceau. L'usage de ce procédé peut tourner assez rapidement au vinaigre en cas d'abus, de mauvais choix ou de découpage brouillon au montage, ce qui justifie un soin tout particulier à son application. Mais nos adeptes du Hip-Hop n'ont pas ces difficultés. Ils se servent de samples avec une parfaite minutie pour ajouter de la couleur à leur musique. Ils permettent à leurs créations de monter encore d'un cran. Ainsi, régulièrement, des extraits de saxophone, de clavier ou tout simplement de voix surgissent pour embellir les morceaux. Etonnament, ils en imprègnent certains d'une touche très "jazzy", ce qui modifie radicalement l'aspect initial du titre. Parfois encore, ces mêmes samples donnent une allure rétro à l'ensemble. Ils sont donc utilisés avec professionnalisme et diversité, ce qui n'est pas donné d'avance dans ce genre de composition. Il va de soi que le groupe ne s'en sert pas dans le cadre d'une improvisation. Si improvisation il y a, elle restera strictement vocale.

Un très bon disque, donc, pour les amateurs de Hip-Hop et pour les "débutants", car il demeure très accessible à un audimat inhabitué à ce style. Il demeure une référence pour le groupe et le genre entier, un véritable incontournable en termes de qualité et de plaisir. Une musique rythmée rafraîchissante, pour conclure, qui ne manquera pas de séduire les plus sceptiques. A noter que dans le milieu, les musiciens ne s'adonnent en général pas aux traditionnelles envolées au LSD, préférant à cette drogue les effets plus standards du shit qui permet, lui, de rester sur terre. Enfin, dans une certaine mesure... A écouter, et à réécouter !

Note : ****1/2

Liste des morceaux :

1. Excursions (3.53)
2. Buggin'out (3.38)
3. Rap Promoter (2.19)
4. Butter (3.39)
5. Verses From The Abstract (3.59)
6. Show Business (3.53)
7. Vibes And Stuff (4.18)
8. The Infamous Date Rape (2.54)
9. Check The Rhime (3.36)
10. Everything Is Fair (2.59)
11. Jazz (We've Got) (4.09)
12. Skypager (2.13)
13. What ? (2.29)
14. Scenario (4.10)

samedi 11 septembre 2010

DEATH IN JUNE : ABANDON TRACKS!




L'un des groupes les plus éminents du neo-folk (ou Dark Folk, selon les écoles de pensée) est Death in June - DIJ pour les intimes. Bien que la bande ne se soit pas prononcée à ce sujet, l'on peut imaginer, étant donné ses positions politiques, que le nom est une habile référence aux assassinats des SA par leur récents confrères SS à l'issue de la Nuit de Cristal, quelques heures particulièrement sanglantes en Juin. Death in June se revendique nationaliste, ainsi leurs pochettes sont régulièrement marquées d'outils militaires - avec une affection toute particulière pour les chars d'assaut - et le costume du chanteur Douglas, traditionnellement composé d'un treilli à capuche, de lourdes et noires bottes de cuir, ainsi que d'un masque nacré qui n'exprime pas une joyeuseté significative... Bref, le groupe exprime clairement ses opinions, y compris à travers une citation plutôt longue de Yukio Mishima, auteur et politicien nippon aux idées et positions similaires notamment connu pour "La musique", un ouvrage révélateur sur la société de son époque, à l'instar du reste de son oeuvre. A noter qu'il s'est suicidé devants les médias par la méthode barbare mais néanmoins traditionnelle au Japon : le Seppuku. DIJ fait ainsi ressortir un personnage aux opinions fortes, et il ne serait pas impossible que Douglas s'assimile à lui à travers sa musique.

Abandon Tracks. Un nom explicite : les versions des morceaux issus de ce disque n'étaient pas de nature à apparaître en album, concept qui suggère une certaine continuité entre les différentes pistes. Heureusement, nous pouvons à présent en bénéficier grâce à cette compilation, qui regroupe des extraits musicaux de tous azimuts. Ainsi le CD commence avec un morceau instrumental très clair, sans brouillage ni friture, pour enchaîner avec un titre plus expérimental, calquant DIJ sur fond de sample d'opéra ou de musiques culturelles traditionnelles. On observe de nouveau le talent du groupe à exécuter une musique simple dans les règles de l'art suivie d'un bordel tonal fascinant... On a droit à la voix grave, veloutée et surtout agréable de Douglas nature... puis modifiée grâce aux merveilleux accessoires que l'on est aujourd'hui en mesure de fabriquer. Voici un mélange étonnant d'instruments modernes confondus aux outils acoustiques simples, guitare sèche par exemple... Le résultat n'est cependant pas détonnant, car il conserve une certaine douceur, rejetant toute forme de brusquerie, réduisant considérablement jusqu'aux percussions, réelles ou virtuelles, et si une boîte à rythmes vient parfois troubler le calme de DIJ, ce n'est qu'une onde temporaire qui s'estompera rapidement. La ligne sonore ne se complexifie que rarement, et on garde finalement une musique ethérée, qui ne surprend pas par de soudaines violences incongrues dans le contexte, mais par un son étudié et épuré.

Cependant, en tant que compilation, Abandon Tracks comporte quelques problèmes qu'il nous faut à présent évoquer. En effet, l'usage de matériel électronique ne se légitime pas systématiquement. Ainsi, il arrive que le morceau soit tellement éthéré à force de bidouillage non justifié qu'il en devienne incompréhensible musicalement parlant. Il s'agit du même effet que ferait une longue phrase ampoulée dans un écrit : il se peut que le lecteur finisse par oublier et confondre le sujet et d'autres compléments à force d'enluminures. La sensation est ici similaire : ces "enluminures" musicales paraissent superflues et inutiles, gâchant la simplicité du morceau, qui en faisait sa beauté à l'origine. Mais il ne faut pas non plus généraliser, cette difficulté auditive n'est que quelques fois rencontrée dans le disque. Quelques titres comportent un autre problème, à savoir le revirement du compositeur dans un domaine purement expérimental, voire bruitiste, dans lequel Death in June n'a pas toujours sa place. Le plaisir disparaît alors pour laisser place à une pénible sensation d'agressivité auditive, nuisant au titre de façon significative...

Si tout n'est pas doré dans cette compilation, elle n'en demeure pas moins un excellent recueil musical au nom de Douglas, dont les performances artistiques font probablement frémir bon nombre de groupes de neo-folk ou d'indus de par la réflexion et la beauté simple injectées dans les différents morceaux, qui s'agglutinent sans aucune suite logique pour former un amas très Death in Junien qui fera le plus grand plaisir des fans et des collectionneurs du genre. A ne pas rejeter, donc, et à apprécier comme le reste des créations du musicien.

Note : ***1/2

Liste des morceaux :

1. The Concrete Fountain
2. The Only Good Neighbor
3. 13 Years Of Carrion
4. Burn Again
5. My Black Diaries
6. Punishment Initiation
7. We Said Destroy
8. Europa Rising
9. Rocking Horse Night
10. Death Of A Man
11. Passion! Power!! Purge!!!
12. My Black Diary
13. In Sacrilege
14. Many Enemies Bring Much Honour
15. Unconditional Armistice
16. Europa : The Gates Of Heaven And Hell

jeudi 2 septembre 2010

JOHN COLTRANE : A LOVE SUPREME


Le Free Jazz est un genre aux limites floues, dont on peut difficilement repérer les précurseurs et que l'on ne peut assurément définir avec une précision scientifique, d'autant plus que ce terme est utilisé aujourd'hui encore pour des artistes dont le chemin est sensiblement différent de celui des vieux de la vieille école. Parmi eux, l'un des plus éminents est John Coltrane, saxophoniste et compositeur de talent aux idées novatrices. Il rejette derrière lui toute structure traditionnelle des papas du Jazz pour suivre sa propre voie, plus chaotique, confuse, ethérée, sans perdre ses objectifs de vue. Il doit à cette capacité peu commune sa renommée, et surtout, l'Oeuvre splendide qu'il nous a laissé. Avec son disque le plus aboutit, il ne serait pas inconvenant d'affirmer qu'il a alors écrit quelques pages de la Bible du Jazz, et ce d'un point de vue tant métaphorique que littéral...

Dans ces quatre versets de pur bonheur auditif, Coltrane nous octroie son amour suprême, le plus fort, de celui en qui il croit le plus. Chrétien convaincu, il loue ainsi le Seigneur à travers ce qu'il parvient le mieux à produire, de la musique, aussi intemporelle que celui qu'il adore. Dans la première partie, suite à une courte introduction au saxophone, il laisse à son bassiste, son pianiste et son batteur de talent (respectivement Jimmy Garrison, McCoy Tyner et Elvins Jones, tous trois des musiciens tant réputés que respectés dans le milieu) entamer le morceau. Une véritable opposition se met en place, les tonalités et les rythmes s'affrontent longuement dans un ensemble d'une complexité absolue, quand soudain, un silence battu par les sons étouffés de la contrebasse et de la batterie se fait et, sous un déluge harmonieux de piano, la voix veloutée de Coltrane surgit du tréfond chaotique.

"A love supreme. A love supreme. A love Supreme."

Ainsi Coltrane psalmodie-t-il son amour de Dieu, avant d'être lentement éteint par un doux solo de contrebasse.

Et le saxophone lumineux se refait entendre ! Pour bientôt laisser place à McCoy Tyner, qui se lance dans une improvisation pleine d'une virtuosité fantastique d'agilité, qui conserve toutefois une humilité propre au contexte. A son apogée le groupe reprend le fil musical avec enthousiasme pour virevolter vers d'autres horizons... Nul couplet ni refrain ne vient entraver cet épanouissement musical intense. Seule la musique compte, et elle apparaît dans toute son émotion, maintenue jusqu'à la note finale. Le grand spectacle vient ensuite, en introduction de troisième partie, avec un impressionant solo de batterie. Elvin Jones se débat tel un forcené avec son attirail percutant, et ses collègues le rejoignent bientôt avec une fougue similaire, pour reprendre la longue route à sens unique que les artistes ont choisi de suivre. Il s'agit réellement de Jazz libre, délivré de toute règle, de toute définition traditionnelle. Leur unique obstacle est leur imagination, pétillante d'invention et d'audace, qui conserve néanmoins un sérieux de rigueur pour la réalisation d'une tâche si ardue. Il est sensible qu'ils ont franchi avec le plus grand succès ce défi fou qu'ils s'imposaient.

Le dernier morceau au nom éloquent et bien choisi, "Psalm", est empreint d'une tristesse toute particulière, crachée par le pieux saxophoniste, sous fond de roulements de tambours, de déluges de cymbales et d'enchainement bien sombres d'accords de piano. Ce déchaînement d'émotions est lui aussi, vous l'aurez compris, voué à Dieu. Peut être est-ce un quelconque regret inexprimé, ou une puissante humilité de Coltrane face à l'immensité du Seigneur, mais cessons là ces hasardeuses hypothèses. Toujours est-il qu'il y a un profond revirement de tonalités, la musique s'assombrissant subitement suite à un enthousiasme et une ferveur peu cachés, qui dévoile une autre facette du disque; qui n'aura cessé de surprendre ses auditeurs par son originalité tout au long de l'écoute.

On ne peut que s'incliner devant la fantastique dévotion des artistes apportée aux quatre parties de ce chef d'oeuvre, qui unit la folie chaotique humaine à l'ordre bienveillant divin, la musique servant de ciment dans ce rapport si particulier. Se détachant de toute règle, ce quatuor de talentueux musiciens a pu produire un prodigieux trésor auditif, qui restera longtemps ou à jamais dans les annales du Free Jazz. Beaucoup considèrent aussi cet album comme étant l'oeuvre la plus aboutie de John Coltrane.

Note : *****

Liste des morceaux :

1. Part 1 : Acknowledgement (7.42)
2. Part 2 : Resolution (7.19)
3. Part 3 : Pursuance (10.42)
4. Part 4 : Psalm (7.02)