vendredi 11 février 2011

ELpH : Zwölf 20' To 2000


En 1999, le label Raster-Norton, qui prend en charge de nombreuses formations électroniques et minimalistes, a organisé un évènement spécial pour le passage au deuxième millénaire. Douze artistes de cette vague ont ainsi tiré des albums de vingt minutes, en édition limitée, au rythme d'un par mois. A chaque fois, même boitier rond et transparent, et même disque translucide décidément peu aisé à ranger convenablement dans une médiathèque. En clôture de ces sorties mensuelles, une grosse claque pour tous les amateurs de bruit et d'ambiant : ELpH (alias Coil) et son unique mais superbe morceau "Zwölf".

Il faut bien reconnaître que dans le milieu de l'expérimental musical, si l'on trouve nombre de titres et de concepts intéressants, une certaine proportion demeurent rigoureusement chiants et seuls des snobinards patentés en vanteront les mérites. C'est en cela que l'ambiant et la noise sont risqués pour un musicien osé. Il peut pondre un morceau original et passionnant aussi bien qu'une bouillie insipide composée d'extraits d'enregistrements fumeux de trains, d'oiseaux ou du bien célèbre cri de l'hippocampe feuillu. Fascinant. Mais John Balance et Peter Christopherson (dont nous pouvons déplorer le récent décès) avaient de l'imagination à revendre, et ont réussi à mettre au point un morceau ni assommant, ni insipide, ni soporifique, mais au contraire un titre captivant qui compte parmi leurs meilleures productions d'ambiant.

Pourtant le disque commence sobrement, à la manière d'à peu près tous les morceaux bruitistes (j'exagère, je sais...), à savoir avec un soufflement continu reposant sur un silence de plomb. Mais le sifflement varie, s'intensifie lentement, pour être rejoint par un rythme très léger. La manœuvre est exécutée d'une main de maître, et dès lors, le bruit devient envoûtant... Une boîte à rythme très légère mais très présente est mise en place, bercée par deux grincements profonds et obscurs qui alternent dans une atmosphère mortelle. De légers cafouillages interviennent par instants dans le rythme, qui poursuit sa course avec une implacabilité effrayante. Elle s'estompe, au profit d'un crissement odieux. Silence, soudain.

On évolue donc dans un univers de peur palpable, de débris d'engins électroniques hors-services et de courtes séquences qui transpercent douloureusement la monotonie du paysage musical. L'ambiance n'est pas froide, mais humide et malsaine. L'image d'un monde apocalyptique en désolation peut transparaître parfois, dans un tremblement qui s'amplifie de plus en plus.

Au milieu du morceau, un revers surprenant a lieu : une boîte à rythme plus traditionnelle prend place dans le maelström tournoyant et menaçant qui sévit dans ce petit album. Mais jamais on ne s'ennuie, plongé(e) dans la torpeur ensorcelante d'ELpH. Enfin, cerise sur le gâteau, le final. Une minute avant la fin démarre dans un soubresaut un orphéon laborieux, musique de cirque ou de dessin animé, ultime reste tremblotant de l'humanité, et Zwölf s'achève dans un accord final de cet orchestre, dans une dernière vibration sonore.

C'est donc par ce morceau que John Balance et Peter Christopherson célèbrent, quelques jours auparavant, le passage à l'an 2000. Ils clôturent admirablement le projet de Raster-Noton (qui recevra l'an suivant le prix
Golden Nica de la part du jury d'Ars Electronica). Si ce disque est représentatif de l'avenir qui nous attend, c'est un futur bien sombre qui nous ouvre ses portes. Sur ces bonnes paroles, je vous le souhaite officiellement avec onze ans de retard : bonne année 2000 !

Liste des morceaux :

1. Zwölf (20.02)

mercredi 9 février 2011

COIL : THE ANGELIC CONVERSATION



"Being your slave, what should I do but tend

Upon the hours and times of your desire?"

Peter Christopherson et John Balhance écoutait Popol Vuh, c'est certain. Comme le groupe de Florian Fricke, Coil avait compris à quel point une bande originale peut s'émanciper du film qu'elle accompagne : à l'instar des musiques qui accompagnaient les films de Werner Herzog dans les années 70, la musique de The Angelic Conversation, long métrage expérimental militant de Dereck Jarman, se passe sans mal des images de ce dernier : elle se suffit à elle-même en tant que musique bien sûr, mais aussi en tant qu'histoire. Une histoire, un conte lent et méditatif où Coil a compris que, plus que les notes, le silence peut se transformer en puissante force évocatrice.

Le silence donc, il baigne l'album entier en fait, ponctué discrètement par des bruits d'eau, d'orage, bruits de pas, clochers d'église discrets... Des instruments il y en, peu certes, mais utilisés de manière judicieuse : envolée céleste de cordes, percussions martiales, timbales rituelles, rien n'est en quantité suffisante pour constituer un morceau, rien n'est jamais vraiment entendu : une tambour frotté, quelque secondes passent, un rêve, rien de plus... Au lieu de faire de la musique, Coil ne fait qu'en parler. Les contours sont dessinés mais l'encre n'est posé que par touche. The Angelic Conversation est un dessin érotique, rien n'est montré, tout n'est que suggestion.

Et puis il y a la voix, Judi Dench en fait, posé, sure d'elle, aussi large que le silence qui l'entoure presque constamment, déclamant posément Shakespeare, jamais trop longtemps, s'éteignant peu à peu, laissant place au silence, aux bruits d'eau, aux instruments, puis au silence à nouveau, étendu à perte de vue.

Quelque années plus tard, Coil écrira Ostia, sans peut être jamais réalisé à quel point The Angelic Conversation en annonçait la couleur : cette maitrise des cordes et du bruitage existait déjà sur ce dernier. A la lumière d'Ostia, The Angelic Conversation apparait comme une version dilatée du meilleur morceau de Coil. Un disque entier de tâtonnement, de recherche, une ébauche laissée comme tel par peur d'en gâcher les esquisses les plus belles.
Le duo se transforme ici : des débuts de Coil, violents et sales, s'élève quelque chose de plus singulier qu'on ne pouvait que supposer à l'écoute de Scatology. La musique industrielle de Coil s'est arrêté et de leurs début ces derniers n'ont gardés que deux morceaux : leur premier effort : "How To Destroy Angels" (car celui-ci était déjà un rituel païen avant d'être une musique), et "At The Heart of It All" (ici renommé Montecute), voyage onirique qui jurait avec la violence organique de Scatology. Coil venait de trouver un filon inexploité alors. Depuis, les deux hommes n'ont cessé creusés profond, très profond...


"To me, fair friend, you never can be old,
For as you were when first your eye I ey'd"

MATT ELLIOTT : DRINKING SONGS


Dans la longue liste des artistes dépressifs et déprimants, Matt Elliott figure très certainement dans la décade de tête. Musicien Folk des années 2000, il se distingue par une patte musicale reconnaissable entre toutes, gorgée de tristesse. Bon, pour faire court, c'est pas le genre de truc qu'on se met pour se fendre la pêche. Aussi déconseillé le matin, sauf si vous vous rendez à un enterrement peu après. De plus, ce disque est à proscrire si vous avez tendance à vous endormir avec une bouteille de pinard dans les bras, même votre médecin vous le fera remarquer. Ces recommandations faites, nous pouvons commencer à décortiquer Drinking Songs, perle des années 2000.

D'entrée de jeu, les premiers arpèges sont annonciateurs d'une musique qui ferait se pendre une corde elle-même. Le thème du suicide est omniprésent, rendu particulièrement glauque par des mélodies qui colleraient parfaitement à l'ambiance des bistrots de Berlin-Est durant la Guerre Froide. Elles sont teintes d'un désespoir amer piqué de tristesse. Les enchaînements d'accords au piano, presque chauds dans un premier temps, finissent par se ternir, se dénuder pour laisser place à un souffle glacé et ardent, faussement suave en apparence mais âcre en vérité. La guitare, elle, continue, imperturbable, sans tenir compte de la profonde rancœur qui l'enveloppe. Rien n'adoucit cette musique obscure, si ce n'est la voix brûlante de Matt Elliott, presque fiévreuse, qui sucre légèrement la détresse des morceaux.

Rien de très joyeux, vous l'aurez compris, mais les sensations qui naissent de ce volume sont dues à un mélange bien dosé, qui a permis la création d'un thème musical repris dans tout le disque avec différentes variations. Cependant, rassurez-vous, il est loin d'être monotone. Simplement, il martèle inlassablement à coups de désespoir mesuré ses mélodies. Tous les moyens sont alors bons : violons découragés et sinueux, ensembles vocaux dignes de l'animation d'un mausolée, arpèges rigoureusement exécutés et un piano en arrière plan mais pourtant très présent, qui vient finaliser le cocon fantomatique de la composition.

On peut noter les passages très calmes du début du dernier morceau, qui font s'émerger d'une longue torpeur vos oreilles délicates qui prévoient déjà de se passer la corde autour du lobe... Ils se distinguent par leur nature posée, aléatoire et discrète, et vont plonger dans une musique de plus en plus rythmique avant de sombrer progressivement dans le bruitisme, dans un chaos grinçant et cafouilleux, pour chuter définitivement dans le nuage blanc et noir caractéristique des écrans hors-service. C'est alors une extase de sons provenant de toutes parts, suivie d'un piano de plus en plus anarchique et d'un lointain reste des mélodies de Matt Elliott, le tout dans une cohésion extraordinaire, malgré la confusion de l'enveloppe sonore.

Un superbe album, donc, déprimant jusqu'à l'os, et qui restera probablement longtemps dans les mémoires. En revanche, coupez le son quand vous passez sur un pont. On ne sait jamais quelle idée pourrait vous passer par la tête...


Liste des morceaux :

1. C.F. Bundy
2. Trying to Explain
3. The Guilty Party
4. What's Wrong
5. The Kursk
6. What the Fuck am I Doing on this Battlefield ?
7. A Waste of Blood
8. The Maid we Messed