mardi 22 mars 2011

CURRENT 93 : SWASTIKAS FOR NODDY


Vous voyez tous ces blockbuster américains, littéralement inondés d'acteurs connus qui montreront leur belle gueule cuivrée pendant une heure quarante ? Eh bien, Swastikas For Noddy, c'est pareil. Au programme, David Tibet, illustre fondateur de Current 93 ; John Balance, défunt membre de Coil ; Rose McDowall (Sorrow, Spell) ; le célèbre Steven Sapleton, en provenance directe de Nurse With Wound ; Pierce Douglas, distingué musicien de Death in June ; ainsi qu'une troupe entière d'inconnus notoires, dont on ne doutera pas de l'excellence du travail. Comme quoi, la musique industriel, ça n'est finalement qu'une seule mais grande famille. Avec un staff pareil, le résultat ne pouvait qu'être au rendez-vous. C'est ainsi que le 9 novembre de l'an de grâce mille neuf cent quatre vingt sept seront enregistrés pas un, ni deux, mais bien dix-sept morceaux, de taille et d'influence variables, qui raviront les connaisseurs.

Pour qualifier l'œuvre de David Tibet, d'aucuns pourraient parler, à tort ou à raison, de néofolk cireux à tendance moyenâgeuse. C'est ainsi que le disque s'ouvre sur un chant a capella qui n'aurait pas fait honte à un certain Grégoire, sous la voix veloutée du fondateur de Current 93. Suite à quelques prometteuses vibrations de cordes vocales, introduction planante à la suite du menu, Swastikas For Nobody débute réellement, presque avec hargne. Le chant gagne en intensité et en agressivité, surpassant l'impassibilité des chœurs et de l'accompagnement des guitaristes, grattant implacablement accord sur accord, comme pour faire fondre, en aide à Tibet, le silence et la sérénité qui semblaient avoir construit leurs bases en début d'album. L'union de ces artistes montre un univers qu'ils ont en commun, et qu'ils tentent - ou non - de partager.

Fidèles aux traditions de la musique industrielle, quelques samples et boîtes à rythme bruitistes - roulements de trains, opérettes lointaines - viennent pimenter par moments la musique habituellement assez standardisée de Tibet. On ressent l'influence de Douglas, Stapleton et McDowall, toujours sur le fond doux et cotonneux introduit par David Tibet. Une fois encore, on observe que les différents univers des musiciens, bien qu'assez éloignés, sont loin d'être indissociables. Néanmoins, on ressent des changements assez nets, bien que progressifs, dans l'évolution de la mélodie. La voix de McDowall apporte ainsi une touche inquiétante dans Black Flower Please, une sorte de ritournelle de l'angoisse qui cèdera le pas à un air tout à fait joyeux. Tout est fait pour bercer l'auditeur dans différents domaines, avec des transitions parfois brutales et surprenantes. A noter, une amusante reprise de The Summer of Love, de Blue Öyster Cult, qui rappellera des souvenirs aux vieux de la vieille...

Le disque atteint son point culminant à son onzième morceau : Beausoleil, huit minutes libératrices et pleines d'humour et de cris de joie. Presque tout le monde y contribue dans la bonne humeur la plus totale. David Tibet laisse derrière lui tout son sérieux, criant toujours plus fort ce mot français avec un accent... so british... On l'a rarement vu aussi détaché de son caractère habituellement posé. Pendant ce temps, chacun reprend le double-mot en chœur et un zouave (l'on pourra soupçonner Balance ou Stapleton - ou même les deux) s'amuse à faire des sons gargouillant bizarres avec un synthé. Un condensé de bonheur béat, qui détendra les nerfs les plus rugueux.

Il ne faut donc pas attendre Swastikas For Noddy comme un album de Current 93, mais plus comme une exceptionnelle collaboration de tous les précurseurs du néofolk, et même de la musique industriel. Libre de toute tension et de toute ligne principale, il fera apparaître des facettes différentes, sous l'influence des différents artistes qui y contribuent, mais sous forme d'un bloc unique, presque magique et plein d'espoir. Aujourd'hui encore, la plupart de ces groupes - bien souvent des one man band - officient encore dans les salles de concerts et dans les bacs indus (un peu plus rare en France, pour notre plus grand malheur), et ce disque, sans être, finalement, vraiment extraordinaire en lui-même, est un bon moyen de tous les appréhender.