vendredi 17 septembre 2010

A TRIBE CALLED QUEST : THE LOW END THEORY


New-Yorkais casquetteux et au T-shirt trop large, les membres de "A tribe called quest" ont néanmoins du talent. On tombe ici dans l'un des grands stéréotypes du Hip-Hop, mais le disque n'en n'est pas moins excellent. Ce groupe des années 1990 ("The Low End Theory" est leur deuxième album) a une conception bien précise de ce genre très controversé. Ainsi, la deuxième entité remerciée après Dieu est composée de tous les "vrais" groupes de Hip-Hop. Ils n'observent en effet pas d'un bon oeil les dérivations de ce style lors de cette période, et préfèrent demeurer des "vieux de la vieille". Ils s'en tiennent aux méthodes des premiers rappeurs... Telle est la ligne de conduite de ces compères qui vont nous en faire voir de toutes les couleurs (principalement du rouge et du vert...).

L'album commence très fort par "Excursions", l'un des morceaux les plus impressionnants du disque. Une ligne de basse à faire bander un rocher, une boîte à rythmes soigneusement dosée, et la machine est mise en route... L'on peut considérer deux parties dans le disque. Tout d'abord, une première moitié pleine de punch, réalisée avec une main de maître énergique, mais qui sera suivie d'une seconde, plus posée sans baisser de niveau. Les syllabes presque chantées s'enchaînent fluidement, à la fois marquantes et relâchées, toujours sur fond de basse aphrodisiaque et de battement tonique électronique... Finalement, l'ensemble est entraînant, bien géré et dense, sans être lancinant - un problème récurrent dans le milieu. Des extraits à l'orgue électronique, ou instrument avoisinant, viennent éclaircir le tableau, relativement sombre et résolument affirmé. Les jeunes rappeurs, supporters du "stop the violence movement", content dans une volée de plaisir les difficultés de beaucoup de banlieusards - Américains, en particulier - à survivre dans une société qui ne leur accorde pas forcément toutes leurs chances... Ce sont ainsi des paroles très sociologiques qui dénoncent certaines violences actuelles trop souvent impunies au sein de beaucoup de banlieues, du racket au viol, en passant par la corruption. On reste ainsi dans une thématique classique des débuts du Hip-Hop (mais aussi, dans une certaine mesure, du Hip-Hop actuel), qui dénote une fois encore de la volonté du groupe de demeurer dans l'esprit originel.

Si A tribe Called Quest excelle dans son art, c'est en bonne partie grâce à une excellente utilisation des "samples", de bandes pré-enregistrées ou empruntées à d'autres artistes passées dans le morceau. L'usage de ce procédé peut tourner assez rapidement au vinaigre en cas d'abus, de mauvais choix ou de découpage brouillon au montage, ce qui justifie un soin tout particulier à son application. Mais nos adeptes du Hip-Hop n'ont pas ces difficultés. Ils se servent de samples avec une parfaite minutie pour ajouter de la couleur à leur musique. Ils permettent à leurs créations de monter encore d'un cran. Ainsi, régulièrement, des extraits de saxophone, de clavier ou tout simplement de voix surgissent pour embellir les morceaux. Etonnament, ils en imprègnent certains d'une touche très "jazzy", ce qui modifie radicalement l'aspect initial du titre. Parfois encore, ces mêmes samples donnent une allure rétro à l'ensemble. Ils sont donc utilisés avec professionnalisme et diversité, ce qui n'est pas donné d'avance dans ce genre de composition. Il va de soi que le groupe ne s'en sert pas dans le cadre d'une improvisation. Si improvisation il y a, elle restera strictement vocale.

Un très bon disque, donc, pour les amateurs de Hip-Hop et pour les "débutants", car il demeure très accessible à un audimat inhabitué à ce style. Il demeure une référence pour le groupe et le genre entier, un véritable incontournable en termes de qualité et de plaisir. Une musique rythmée rafraîchissante, pour conclure, qui ne manquera pas de séduire les plus sceptiques. A noter que dans le milieu, les musiciens ne s'adonnent en général pas aux traditionnelles envolées au LSD, préférant à cette drogue les effets plus standards du shit qui permet, lui, de rester sur terre. Enfin, dans une certaine mesure... A écouter, et à réécouter !

Note : ****1/2

Liste des morceaux :

1. Excursions (3.53)
2. Buggin'out (3.38)
3. Rap Promoter (2.19)
4. Butter (3.39)
5. Verses From The Abstract (3.59)
6. Show Business (3.53)
7. Vibes And Stuff (4.18)
8. The Infamous Date Rape (2.54)
9. Check The Rhime (3.36)
10. Everything Is Fair (2.59)
11. Jazz (We've Got) (4.09)
12. Skypager (2.13)
13. What ? (2.29)
14. Scenario (4.10)

samedi 11 septembre 2010

DEATH IN JUNE : ABANDON TRACKS!




L'un des groupes les plus éminents du neo-folk (ou Dark Folk, selon les écoles de pensée) est Death in June - DIJ pour les intimes. Bien que la bande ne se soit pas prononcée à ce sujet, l'on peut imaginer, étant donné ses positions politiques, que le nom est une habile référence aux assassinats des SA par leur récents confrères SS à l'issue de la Nuit de Cristal, quelques heures particulièrement sanglantes en Juin. Death in June se revendique nationaliste, ainsi leurs pochettes sont régulièrement marquées d'outils militaires - avec une affection toute particulière pour les chars d'assaut - et le costume du chanteur Douglas, traditionnellement composé d'un treilli à capuche, de lourdes et noires bottes de cuir, ainsi que d'un masque nacré qui n'exprime pas une joyeuseté significative... Bref, le groupe exprime clairement ses opinions, y compris à travers une citation plutôt longue de Yukio Mishima, auteur et politicien nippon aux idées et positions similaires notamment connu pour "La musique", un ouvrage révélateur sur la société de son époque, à l'instar du reste de son oeuvre. A noter qu'il s'est suicidé devants les médias par la méthode barbare mais néanmoins traditionnelle au Japon : le Seppuku. DIJ fait ainsi ressortir un personnage aux opinions fortes, et il ne serait pas impossible que Douglas s'assimile à lui à travers sa musique.

Abandon Tracks. Un nom explicite : les versions des morceaux issus de ce disque n'étaient pas de nature à apparaître en album, concept qui suggère une certaine continuité entre les différentes pistes. Heureusement, nous pouvons à présent en bénéficier grâce à cette compilation, qui regroupe des extraits musicaux de tous azimuts. Ainsi le CD commence avec un morceau instrumental très clair, sans brouillage ni friture, pour enchaîner avec un titre plus expérimental, calquant DIJ sur fond de sample d'opéra ou de musiques culturelles traditionnelles. On observe de nouveau le talent du groupe à exécuter une musique simple dans les règles de l'art suivie d'un bordel tonal fascinant... On a droit à la voix grave, veloutée et surtout agréable de Douglas nature... puis modifiée grâce aux merveilleux accessoires que l'on est aujourd'hui en mesure de fabriquer. Voici un mélange étonnant d'instruments modernes confondus aux outils acoustiques simples, guitare sèche par exemple... Le résultat n'est cependant pas détonnant, car il conserve une certaine douceur, rejetant toute forme de brusquerie, réduisant considérablement jusqu'aux percussions, réelles ou virtuelles, et si une boîte à rythmes vient parfois troubler le calme de DIJ, ce n'est qu'une onde temporaire qui s'estompera rapidement. La ligne sonore ne se complexifie que rarement, et on garde finalement une musique ethérée, qui ne surprend pas par de soudaines violences incongrues dans le contexte, mais par un son étudié et épuré.

Cependant, en tant que compilation, Abandon Tracks comporte quelques problèmes qu'il nous faut à présent évoquer. En effet, l'usage de matériel électronique ne se légitime pas systématiquement. Ainsi, il arrive que le morceau soit tellement éthéré à force de bidouillage non justifié qu'il en devienne incompréhensible musicalement parlant. Il s'agit du même effet que ferait une longue phrase ampoulée dans un écrit : il se peut que le lecteur finisse par oublier et confondre le sujet et d'autres compléments à force d'enluminures. La sensation est ici similaire : ces "enluminures" musicales paraissent superflues et inutiles, gâchant la simplicité du morceau, qui en faisait sa beauté à l'origine. Mais il ne faut pas non plus généraliser, cette difficulté auditive n'est que quelques fois rencontrée dans le disque. Quelques titres comportent un autre problème, à savoir le revirement du compositeur dans un domaine purement expérimental, voire bruitiste, dans lequel Death in June n'a pas toujours sa place. Le plaisir disparaît alors pour laisser place à une pénible sensation d'agressivité auditive, nuisant au titre de façon significative...

Si tout n'est pas doré dans cette compilation, elle n'en demeure pas moins un excellent recueil musical au nom de Douglas, dont les performances artistiques font probablement frémir bon nombre de groupes de neo-folk ou d'indus de par la réflexion et la beauté simple injectées dans les différents morceaux, qui s'agglutinent sans aucune suite logique pour former un amas très Death in Junien qui fera le plus grand plaisir des fans et des collectionneurs du genre. A ne pas rejeter, donc, et à apprécier comme le reste des créations du musicien.

Note : ***1/2

Liste des morceaux :

1. The Concrete Fountain
2. The Only Good Neighbor
3. 13 Years Of Carrion
4. Burn Again
5. My Black Diaries
6. Punishment Initiation
7. We Said Destroy
8. Europa Rising
9. Rocking Horse Night
10. Death Of A Man
11. Passion! Power!! Purge!!!
12. My Black Diary
13. In Sacrilege
14. Many Enemies Bring Much Honour
15. Unconditional Armistice
16. Europa : The Gates Of Heaven And Hell

jeudi 2 septembre 2010

JOHN COLTRANE : A LOVE SUPREME


Le Free Jazz est un genre aux limites floues, dont on peut difficilement repérer les précurseurs et que l'on ne peut assurément définir avec une précision scientifique, d'autant plus que ce terme est utilisé aujourd'hui encore pour des artistes dont le chemin est sensiblement différent de celui des vieux de la vieille école. Parmi eux, l'un des plus éminents est John Coltrane, saxophoniste et compositeur de talent aux idées novatrices. Il rejette derrière lui toute structure traditionnelle des papas du Jazz pour suivre sa propre voie, plus chaotique, confuse, ethérée, sans perdre ses objectifs de vue. Il doit à cette capacité peu commune sa renommée, et surtout, l'Oeuvre splendide qu'il nous a laissé. Avec son disque le plus aboutit, il ne serait pas inconvenant d'affirmer qu'il a alors écrit quelques pages de la Bible du Jazz, et ce d'un point de vue tant métaphorique que littéral...

Dans ces quatre versets de pur bonheur auditif, Coltrane nous octroie son amour suprême, le plus fort, de celui en qui il croit le plus. Chrétien convaincu, il loue ainsi le Seigneur à travers ce qu'il parvient le mieux à produire, de la musique, aussi intemporelle que celui qu'il adore. Dans la première partie, suite à une courte introduction au saxophone, il laisse à son bassiste, son pianiste et son batteur de talent (respectivement Jimmy Garrison, McCoy Tyner et Elvins Jones, tous trois des musiciens tant réputés que respectés dans le milieu) entamer le morceau. Une véritable opposition se met en place, les tonalités et les rythmes s'affrontent longuement dans un ensemble d'une complexité absolue, quand soudain, un silence battu par les sons étouffés de la contrebasse et de la batterie se fait et, sous un déluge harmonieux de piano, la voix veloutée de Coltrane surgit du tréfond chaotique.

"A love supreme. A love supreme. A love Supreme."

Ainsi Coltrane psalmodie-t-il son amour de Dieu, avant d'être lentement éteint par un doux solo de contrebasse.

Et le saxophone lumineux se refait entendre ! Pour bientôt laisser place à McCoy Tyner, qui se lance dans une improvisation pleine d'une virtuosité fantastique d'agilité, qui conserve toutefois une humilité propre au contexte. A son apogée le groupe reprend le fil musical avec enthousiasme pour virevolter vers d'autres horizons... Nul couplet ni refrain ne vient entraver cet épanouissement musical intense. Seule la musique compte, et elle apparaît dans toute son émotion, maintenue jusqu'à la note finale. Le grand spectacle vient ensuite, en introduction de troisième partie, avec un impressionant solo de batterie. Elvin Jones se débat tel un forcené avec son attirail percutant, et ses collègues le rejoignent bientôt avec une fougue similaire, pour reprendre la longue route à sens unique que les artistes ont choisi de suivre. Il s'agit réellement de Jazz libre, délivré de toute règle, de toute définition traditionnelle. Leur unique obstacle est leur imagination, pétillante d'invention et d'audace, qui conserve néanmoins un sérieux de rigueur pour la réalisation d'une tâche si ardue. Il est sensible qu'ils ont franchi avec le plus grand succès ce défi fou qu'ils s'imposaient.

Le dernier morceau au nom éloquent et bien choisi, "Psalm", est empreint d'une tristesse toute particulière, crachée par le pieux saxophoniste, sous fond de roulements de tambours, de déluges de cymbales et d'enchainement bien sombres d'accords de piano. Ce déchaînement d'émotions est lui aussi, vous l'aurez compris, voué à Dieu. Peut être est-ce un quelconque regret inexprimé, ou une puissante humilité de Coltrane face à l'immensité du Seigneur, mais cessons là ces hasardeuses hypothèses. Toujours est-il qu'il y a un profond revirement de tonalités, la musique s'assombrissant subitement suite à un enthousiasme et une ferveur peu cachés, qui dévoile une autre facette du disque; qui n'aura cessé de surprendre ses auditeurs par son originalité tout au long de l'écoute.

On ne peut que s'incliner devant la fantastique dévotion des artistes apportée aux quatre parties de ce chef d'oeuvre, qui unit la folie chaotique humaine à l'ordre bienveillant divin, la musique servant de ciment dans ce rapport si particulier. Se détachant de toute règle, ce quatuor de talentueux musiciens a pu produire un prodigieux trésor auditif, qui restera longtemps ou à jamais dans les annales du Free Jazz. Beaucoup considèrent aussi cet album comme étant l'oeuvre la plus aboutie de John Coltrane.

Note : *****

Liste des morceaux :

1. Part 1 : Acknowledgement (7.42)
2. Part 2 : Resolution (7.19)
3. Part 3 : Pursuance (10.42)
4. Part 4 : Psalm (7.02)

vendredi 27 août 2010

NAPALM DEATH : SCUM


Le truc était mort-né, d'ailleurs, qui sait si il a réellement vécu. Le premier disque de Napalm Death, enregistré dans des conditions chaotiques devait marquer le coup d'envoi d'un truc complétement insensé, quoique tout ce qu'il y a de plus prévisible. Le tout étant de se remettre dans le contexte.

Deuxième moitié des 80s donc, l'époque avait déjà servi de prétexte à toute sorte d'excès, pour le pire mais aussi pour le meilleur. Le pire, Soft Cell, Frankie Goes to Hollywood, et toute une tripotées de trucs immondes fascinés par les synthés, les paillettes et le fistfucking. Par chance, la new wave semblait s'être calmée quelque peu dés 84. Le meilleur pour la justement nommée no wave, radical, salvatrice, et l'essor de la musique industrielle, où l'amour du bruit blanc, quand tout le reste dégoutait, rendait agréablement dingue.
Puis voila, 1985 passe, le thrash metal explose (Reign in Blood et Master of Puppets sortent tout deux en 1986), le death commence à pointer le bout de son nez (la consécration arrivera finalement en 1989 avec Altars of Madness). La même idée germe dans la tête de milliers de heavy/glam/hair métalleux : "Les mecs ! Si ont joue plus vite et plus fort que les autres groupes ça veut dire qu'on est meilleur non ?"

Voila donc, sorti de la masse de trucs dont tout le monde se torche le cul à présent, le groupe qui a joué plus fort et plus vite que tout les autres. Napalm Death (rien que le nom...) avait tout compris : trop mélodieux le heavy, pas assez radical le thrash, trop lent le death, pour doubler les autres, il suffit d'être plus méchant avec l'auditeur, lui donner moins : moins/pas de musique, moins/pas de mélodie, moins/pas de compos, aucune pause, diviser par deux la durée de l'album, diviser par quatre la durée des morceaux... Voyager léger en somme. La seule chose à ajouter c'est une pédale en plus sur la batterie... Bref, le truc est neuf, sorte de croisement entre le crust-punk (déjà inécoutable), le hardcore et le death metal, le tout évoquant vaguement la musique industrielle. C'est con mais personne n'y avait pensé avant. Le groupe, fondé en 1981, gravite autour du batteur Mick Harris et de ses imposants blast beats (sorte de déflagration de double pédale et de caisse à timbre donnant une forte impression de "Mur du son". Nota Bene : Rien à voir avec Phil Spector) Pour des raisons artistiques évidentes (absence d'intérêt artistique justement), le groupe se voit refuser tout les studios de répétition. C'est dans un hangar à moitié détruit par les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale que Napalm Death construit peu à peu son Tornado Grindcore (c'est ainsi que Mick Harris qualifia la musique de Napalm Death lors d'une interview. On a raccourci depuis) à grand coup d'écoutes de Crass, Siege ou encore du groupe de death japonais S.O.B. Des premiers ils garderont l'attitude et les idées anarchiques, aux second ils prendront la frénésie radicale des compos, enfin, ils s'approprieront les vocaux hurlés et incomprehensibles des derniers.

Bon, après quelque démos dont on a sérieusement rien à foutre, l'enregistrement de Scum ("écume" en français, plus probablement un certain statut social qui pourrait se définir par "individu pouilleux et violent en marge de la société." dans le contexte qui nous intéresse) commence en 1986. C'est un bordel innommable : la première face est à peine enregistrée que le groupe part en couille : Nick Bullen part finir ses études et Justin Broadrick s'en va fonder Golflesh. Seul reste Mick Harris, qui loin de se démonter, enregistre la deuxième face de Scum en 1987 avec un tout nouveau line up (Jim Whitely à la basse, Bill Steer à la guitare et Lee Dorrian au chant. Le disque sort en mai 1987, il comporte 28 morceaux pour à peine 33 minutes (ce qui fait une durée moyenne par morceau inférieur à deux minutes...) La première face de Scum dégage une violence assez inédite. C'est là qu'on trouve les morceaux les plus longs du disque (le morceau titre "Scum", "Siege of Power", et "Born On Your Knees"). Cette dernière s'achève avec "You Suffer", pied de nez humouristique de Mick Harris : le morceau le plus court jamais enregistré (1 secondes 316).
Puis tout s'accélère : c'est la deuxième face de Scum qui va donner une vraie définition au grindcore. Le second line up choisi par Harris ne fait pas les choses à moitié : à part un semblant de riff de temps en temps ("Divine Death", "Common Ennemy", "Stigmatized") et un pseudo-solo ("Parasites"), la formule est répété de "Life" à "Dragnet : le blast beat omniprésent derrière un mur de guitare et de vocaux gutturaux : une citadelle quoi... Sur cette face, la moyenne de durée des morceaux dépasse péniblement la minute... Le grindcore était né. La musique elle, avait disparue. Napalm Death avait réussi son coup.

La suite est connue, fasciné par cette nouvelle façon de jouer, John Peel invite Napalm Death à son émission. Et ce qui devait rester une idée isolée devint un mouvement : Extreme Noise Terror, Carcass, Electro Hippies, Unseen Terror... Tous s'engoufre dans la vague grindcore, recopiant allégrement ce premier manifeste. Ce que Napalm Death avait malgré tout réussir à faire, (à savoir faire de la musique sans musique) va devenir une sorte de crédo pour les nouveaux arrivants. Là voila l'erreur : le grindcore n'a jamais été destiné à devenir un genre. Tout comme le thrash ou le death, celui-ci est incapable de tenir la durée. Napalm Death ne s'en rendait alors pas compte (From Enslavement to Obliteration, leur deuxième album, reprendra la même formule...) : , mais Scum était alors un exploit impossible à renouveler. Mick Harris en prendra conscience quelque années plus tard (il quittera le groupe en 1992), et tentera avec succès d'autre expériences comme Scorn ou encore Painkiller avec John Zorn...

Si le premier disque de Napalm Death est loin d'être parfait, il est nécessaire pour comprendre de nombreuses formations actuelles (Fantômas, Nakes City, etc). Scum c'est l'album où le grindcore est né, c'est aussi celui où il est mort.

Note : ***1/2

Liste des morceaux :

1. Multinational Corporations
2. Instinct of Survival
3. The Kill
4. Scum
5. Caught in a Dream
6. Polluted Minds
7. Sacrificed
8. Siege of Power
9. Control
10. Born on Your Knees
11. Human Garbage
12. You Suffer
13. Life?
14. Prison Without Walls
15. Point of No Return
16. Negative Approach
17. Success?
18. Deceiver
19. C.S.
20. Parasites
21. Pseudo Youth
22. Divine Death
23. As the Machine Rolls On
24. Common Enemy
25. Moral Crusade
26. Stigmatized
27. M.A.D.
28. Dragnet

dimanche 18 juillet 2010

A PLACE TO BURY STRANGERS : EXPLODING HEAD


Feedback dans ta gueule. Ouais ça aurait pu être ça le slogan des A Place to Bury Strangers à l'aube de leur second album. Il s'agit d'avoir un peu de mémoire. En 2007 le trio avait sorti un truc aussi imposant que bruitiste et s'était taillé une réputation dans l'underground East Cost. "Le groupe qui joue le plus fort de New York" qu'on les appelait. Difficile de dire le contraire en réalité. Le trio se revendiquait petit fils tapageur d'une famille englobant aussi bien les insipides Guided By Voice que les géniaux Six Organs of Admitance en passant par Ride, My Bloody Valentine, ou encore The Pain of Being Pure At Heart. Vaste programme donc, de la pop onirique au déluge blanc dronesque en quelque sorte, voire un peu entre les deux, histoire de faire des "bruits mélodieux" ou des "mélodies bruitistes", ensuite c'est une histoire de verre à moitié plein ou à moitié vide... Bref, à chacun sa vision du Shoegaze pourvu que les globes oculaires soient rivés sur les pieds. Pour le trio New-Yorkais, le terme prenais d'entrée de jeu des accents assez sidérurgiques. Le premier A Place to Bury Stranger allais plutôt chercher du côté des Spacemen 3, l'énergie et les chansons en plus. Le résultat fut un tel condensé de bruits désagréables à l'oreille du pékin moyen que le webzine Pitchfork lui accorda la note honorifique de 8,4/10 (sache cher lecteur, que les chroniqueurs du dit journal se sont vus attribuer par de puissantes divinités le pouvoir de donner des notes à virgule aux disques, que celles-ci ne dépassent 8,0 que lors de circonstances exceptionnelles (alignement de Mars et de Jupiter sous une lune rousse, etc.) et que dans leur extra lucidité surnaturelles, ces derniers ont décidés que The Ape of Naple de Coil valait 7,9/10.)

La messe était dite : le trio de New York s'imposait dés lors comme "le son qui déchire grave sa maman", le must en matière "scrutechaussure" (tient, habituellement les traductions ça en jette grave...) se payant même la première partie de Nine Inch Nails lors du Light In The Sky Tours.
Le met de rêve du geek moyen, autrement dit le concentré de truc que personne n'écoute : space rock, indus, drone, coldwave, post-punk, noise, no wave... C'est peu dire qu'un guitariste qui fabrique ses propre pédales d'effet auxquels il donne des noms improbables tout droit sortis du meilleur des nanars science-fictionnesques des années 60 (Total Sonic Annihilation, Supersonic Fuzz Gun !) et dont le livre préféré s'appelle Analog Days, The Invention And Impact Of The Moog Synthetizer n'est pas exactement ce qu'on pourrait légitimement appeler le dernier piège à midinettes rock...

En fait, la bande a Ackermann était attendue au tournant pour leur deuxième effort justement intitulé Exploding Heads (clin d'œil à une scène bien connue du dérangeant Scanners de Cronenberg ?) Enfin, le temps n'est plus aux réflexions snobs sur les possibles références cinématographiques du groupe alors qu'on se fait littéralement écraser sous les coups de butoir de "It Is Nothing". Il y a quelque chose en plus ou en moins dans le jeu de JSpace. Moins synthétique, plus percutant que sur le premier album. Difficile à discerner, mais c'est un bien. Jamais caisse à timbre n'aura été autant maltraitée que tout au long de ce disque. C'est net, A Place to Bury Strangers a fait des concessions : derrière le feedback constant qui menace de noyer tout l'album dans une immense vague de fuzz, les mélodies sont plus présentes que dans l'album éponyme. Le truc qui manquait sur "My Weakness", c'était ça la faiblesse du grand frère. Corrigée à présent. Exploding Heads, derrière ses airs de Metal Machine Music, contient des putains de mélodies : un véritable album de pop on vous dit : "It Is Nothing", "Deadbeat", "Keep Slipping Away" ou encore le morceau titre "Exploding Heads" (un des meilleurs de l'album) sont des bijoux entêtants. Les geeks avide d'audace et de bruit blanc de la première heure ne seront pas en reste pour autant : de la coldwave à la Bauhaus de "In Your Arms", au gros son qui sature fait saigner les oreilles et crier le voisin de "Everything Always Goes Wrong" et "Smile When You Smile", entre temps, l'énorme rite païen de "Ego Death" aura fait taire les mauvaises langues. Puis, histoire de mettre tout le monde d'accord, la mélodie impeccable de "I Lived My Life to Stand in the Shadow of Your Heart" qui clos l'album mute peu à peu en une monstruosité inécoutable, deux minutes de musicalité parfaite pour trois d'explosion de bruit grinçants et étincelants. Voila qui est bien.

Pour la petite information, Pitchfork n'a accordé que 6,6/10 à Exploding Heads.

Note : ****

Liste des morceaux :

1. It Is Nothing
2. In Your Heart
3. Lost Feeling
4. Deadbeat
5. Keep Slipping Away
6. Ego Death
7. Smile When You Smile
8. Everything Always Goes Wrong
9. Exploding Heads
10. I Lived My Life to Stand in the Shadow of Your Heart

Du même artiste :

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- A Place to Bury Strangers

lundi 5 juillet 2010

GURU GURU : KANGURU


L'un des grands trips musicaux de la deuxième moitié du XX ème siècle est la composition sous acide. Il est vrai que cette pratique s'est largement perprétrée dans l'univers du rock, mais il est finalement indéniable que la bonne parole a particulièrement atteint la musique cosmique de nos allemands préférés. Et il faut bien reconnaître qu'en dehors de toute considération morale, une telle expérience a fait ses preuves en donnant des résultats incontestable chez un bon paquet d'artistes. Non mais vous imaginez, vous, du CAN à jeun ? Cessons de plaisanter... Ensuite, il faut conserver un certain recul quant aux bienfaits de cette cure miraculeuse, qui demeure trop hasardeuse pour la certitude d'un résultat satisfaisant. Quoi qu'il en soit, il n'est pas nécessaire d'être médecin pour constater l'état de lucidité des trois cocos de Guru Guru au moment des faits, qui se constate dans le disque autant que sur la pochette... Peut être est ce la clé de l'excellence de Kanguru, album bondissant de joie et de bonne humeur mis au monde par le trio fantastique de drogués invétérés que forment Mani Neumeier, Uli Trepte et Ax Genrich.

Trois cinglés, trois morceaux qui ne le sont pas moins, une bonne combinaison. Le disque est particulièrement écoutable pour un album de Krautrock. La mélodie est basée sur la ligne de basse, très profonde, qui s'oppose cependant à la légèreté piquante qu'adopte le plus souvent le guitariste dans le premier morceau, qui alterne malgré tout son mode de jeu avec des accords plus éthérés. A cela s'ajoute une rythmique relativement énigmatique mais clairement exotique, et enfin les voix caractéristiques d'un shootage préalable à des substances que l'on trouve communément dans le commerce au noir... Les voix des Guru Guru étant impénétrables, je ne pourrais entrer dans une analyse de la véritable signification de leurs paroles, qui n'ont très probablement strictement aucun sens. Mais que pouvions nous attendre d'une troupe de Kangourous des neiges ? En tout cas, le résultat est sublime, d'une profondeur et d'un exotisme agréables d'une durée d'à peine plus de dix minutes.

Le deuxième titre est révélateur d'un des goûts particuliers du groupe : le cirque. Ils retournent alors leur veste - ou plutôt, devrais je dire, leur t-shirt moulant pour les vêtements colorés d'une troupe. Plus violent, Immer Lustig a pour base le mur sonore que dresse la guitare avec le mystérieux instrument à quatre cordes (oui, une basse, je sais...). Un véritable duel se met en place, entrecoupé par la voix et les synthés, complètement aériens. En tout cas, leurs moogs ou autres se mèlent aux cordes pour former un rugissement démentiel digne d'un avion de chasse français de première classe. La fin du moceau est surtout rythmique, et la composition devient incompréhensible, d'étranges oiseaux aux piaffements mignons tout plein avec leur blindage au delay se joignant à la fête. Il nous faut alors ajouter que l'une des grandes innovations du batteur de Guru Guru se trouve être une amélioration plutôt exotique - pour changer... - de ses toms. Il est le premier, en effet, à leur appliquer une sévère réverbération, de telle sorte que chaque coup de baguette est annonciateur d'un son cosmique impressionnant, pareil à un coup de tonerre. En clair, un solo de baterie ahurissant précurseur d'une formidable reprise guitaristique du morceau. L'on pourrait faire tout un article dessus, tant sa construction est fantastique, mais ce n'est pas ici l'objectif, et nous en laisserons la lourde tâche à quelque adorateur puriste de Guru Guru.

La suite du programme fait apparaître deux morceaux nettements plus "rock" que les deux premiers titres, si tant est que l'on puisse appliquer une définition plus claire de ce terme servi à toutes les sauces. La recette est simple et traditionnelle, mais efficace : mélodie jouée à la guitare orientée sur la ligne de basse qui n'a rien perdu de sa superbe, le tout entrecoupé d'extraits relativements cosmiques -c'est pas du kraut pour rien - et avec des intro aguicheuses en début de morceau. Le plus énigmatique de ces deux derniers morceaux est assurément Ooga Booga, au titre aussi évocateur qu'une banane flambée dans un film de Kurosawa, et dans lequel les musiciens ont parachevé leur transformation en vrais Kangourous du Pôle Nord, qui trouvent ainsi leur origine en l'an de grâce 1972. Sans commentaires.

Ainsi le trio nous offre un spectaculaire album sucré et exotique, d'une grande facilité d'accès mais néanmoins comique et lourd comme un croiseur de Star Wars, complètement démentiel, tout à fait dans l'esprit de sa pochette. Le disque révèle des photographies que l'on a généralement tendance à brûler de crainte qu'on ne les découvre, mais la preuve de l'originalité de Guru Guru n'est plus à faire. En tout cas, elle est sensible dans Kanguru, l'un de leur meilleurs albums sorti dans une année riche en expérience musicales de toutes sortes, 1972. Quatre morceaux qui vous propulserons dans un univers aussi éthéré que splendide, alimenté par trois déments musicaux. Kang Kang ? Guru Guru !

Note : ****1/2


Liste des morceaux :

1. Oxymoron (10.33)
2. Immer Lustig (15.38)
3. BabyCake Walk(10.56)
4. Ooga Booga (11.10)

jeudi 10 juin 2010

DOUBLE NELSON : INDOOR


Et voici un album que vous ne trouverez pas chez votre disquaire favori ! Un jour, Kiss s'est attiré l'inimité d'un certain nombre de français par une affirmation trop vraie à leur goût : la France n'aurait rien apporté d'intéressant au rock. Heureusement, quelques fidèles défenseurs de la fondue savoyarde et de notre coq national ont été à l'origine de groupes qui ont pu légèrement réhausser l'idée de la musique dans notre pays. Parmi ces irréductibles comptent Magma, Air ou Noir Désir pour les plus célèbres, mais il ne faudrait pas oublier nos gaulois du milieux underground français, avec Alcoosonic, ou Double Nelson. Bon, d'accord, ce dernier fait de la basse et de la batterie indus qui se plaît à tripatouiller la noise par instants, mais c'est du rock quand même !


Ainsi, Double Nelson est un duo composé d'une jeune femme et d'un homme un peu moins jeune. Les deux passent aisément de la basse à la guitare ou à la batterie, ou marmoner des paroles incompréhensibles dans un micro de qualité moyenne. Sur scène, leur décors de prédilection est constitué de trois murs en aluminium laissant tout juste suffisament d'espace pour les deux musiciens, la batterie, les synthés et les amplis. L'homme porte un couvre-chef étrange recouvert d'alu, et la jeune femme est tout de noir vêtue, dans une athomsphère presque morbide. Ils font un peu peur mais ils se sont finalement révélés très cordiaux après coup, quand ils sont venus boire une bière avec leur public restreint (ça, je vous l'avait dit qu'ils n'étaient pas connus !). Restreint, ai-je dit, mais admiratif, comme il devait l'être à la suite du spectacle musical et visuel offert. Le duo utilise ses outils en optimisant leurs capacités : le mélange à la fois lourd et fin des synthés et de la basse provoque un fond électro voire expérimental très étudié sur lequel se superposent parfaitement la batterie et la voix des musiciens. Le tout renvoie une ambiance très sombre, accentuée par des sons étranges et effrayants créés électroniquement. Qu'ils fassent usage d'un séquenseur ou d'un LFO, ces enchaînements dignes du plus obsur des films de science fiction renforcent très appréciablement les marmonements démoniaques de la terrifiante demoiselle dans son micro... Dans le même temps, elle joue de la grosse guitare avec que quatre cordes avec des riffs lourds, profonds dont la mélodie ajoute au chaos sonore déjà présent.


Une musique incontestablement impressionante, pas toujours très complexe mais qui emmène inévitablement et immédatement ses quelques auditeurs (très fidèles, si j'en juge par les cris affectueux ressortant du public et le nombre de t-shirt du groupe...) dans une abysse électro comme industrielle, avec des influences furieusement punk - dans le bon sens, cela va sans dire. Parmi elles, des morceaux très courts mais intenses compensés par leur nombre. Le groupe ne recule devant aucune astuce originale, n'hésitant pas à maltraiter de malheureuses cymbales plaquées à même le sol, en presque aussi piteux état que la batterie, qui ne tient debout que par, semble-t-il, quelque volonté divine bienveillante amatrice d'indus... Les musiciens sont parfaitement synchronisés - il vaut mieux d'ailleurs, pour un ensemble rythmique basse/batterie - et aucun son n'est laissé au hasard, comme c'est parfois le cas dans certains titres de noise. Cependant, dans quelques morceaux, des notes sont enchaînées aléatoirement - façon R2D2, si vous voulez avoir une idée - ce qui ajoute une nappe de mystère épaisse à une musique déjà très spéciale...


Il y a un aspect finalement reptilien à ce duo obscur. Cette nouvelle facette est portée par les riffs de basse, voire ses soli, tandis que les percussions renvoient à une messe noire digne des adorateurs égyptiens de Nyarlathotep. On ne serait pas étonné que le batteur, à l'instar de celui de Tool, s'inspire du Nécronomicon dans les créations rythmiques... Il manquerait peut être un clavier à leur musique mais ce manque est pour l'instant compensé par une utilisation massive de la technologie électronique musicale de notre belle époque. Double Nelson met en avant un côté souvent oublié aujourdhui : l'importance de la basse dans un groupe qui, en plus de maintenir un rythme précis, participe de façon déterminante à l'élaboration de la mélodie, sans devenir pompeuse -lourde tout au plus. On oublie trop souvent les vertues de ces musiciens de l'ombre, mais certains ensembles tels que celui de Double Nelson rendent justice à un instrument presque indispensable dans toute formation musicale. Un bon disque, donc, et un très bon moment à passer à l'occasion de leurs concerts...



Note : ****


Liste des morceaux :


1. Chouèches (2.51)

2. Refrozen (3.13)

3. Report (2.05)

4. Kra Kra Toa (2.51)

5. Festino (3.32)

6. Wow Come On (2.00)

7. Jour J (2.20)

8. Dom Tom (2.09)

9. Ready Made (3.09)

10. Pécé Blues (2.35)

11. Klendatu Beach (1.27)

12. Country Stress (2.54)

13. ... (1.52)

14. Le Beau (2.20)

15. Draivessi (4.11)

vendredi 21 mai 2010

SEPULTURA : ARISE


Je vous vois déjà hausser les sourcils... Une bâtisse organique dotée d'un visage décomposé règne au centre d'un lac nauséabond, non loin d'une terre jaunâtre. De plus, en lettres tremblotantes forment le mot "Sepultura", aux consonances qui n'ont rien d'encourageant. Et encore, vous n'avez pas vu les têtes des musiciens, aussi peu avenantes que possible, en quatrième de couverture. Pourtant, Arise est une merveille de Thrash Metal (à ne surtout pas confondre avec le Death), sortit en 1991, comme pour fêter la chute de l'URSS, avant la reconversion de Sepultura en Metal plus lourd encore. Mais on est loin du fameux "Roots Bloody Roots" qui n'a pourtant pas grand chose à envier à certains titres de Arise.


A citer en premier lieu, le morceau d'ouverture du disque, qui lui a donné son nom. Ce titre démarre abruptement à la suite de sons nébuleux mais non moins sépulcrales. Soudain le signal est donné et une véritable performance rythmique, de cohésion parfaite, s'enchaîne rapidement dans une cavale menée par le vocaliste Max Cavalera, tandis que Andreas Kisser embrasse les coups percutants du batteur Igor Cavalera ( du même nom que le chanteur) pendant que l'énigmatique bassiste Paulo Jr. oeuvre de concert avec ses éminents collègues afin de donner un peu plus de poids à la mélodie. On remarquera que les paroles sont presque compréhensibles (même sans le livret). C'est la recette de Sepultura pour cet album : des riffs lourds joués frénétiquement, mais sans la moindre défection rythmique car, comme tout bon groupe de Thrash qui se respecte, les artistes misent beaucoup sur les percus. Ils développent d'ailleurs une certaine originalité dans leur intros de morceau en utilisant des synthétiseurs ainsi que des boites à rythme original qui balance la sauce dans un mélange de Metal et d'Industriel. C'est d'ailleurs le milieu du mouvement indu, en ce début des années 1990, ce qui laisse penser que Sepultura en est l'un des promoteurs - ou reprend en tout cas des éléments des premières créations mécaniques...


Le groupe utilise différents moyens mis à sa disposition, tels que des pédales d'effet multi-fonctions. Cependant, force est de remarquer une utilisation relativement raisonnable de la saturation des gratteux, contrairement aux us et coutumes de ce domaine. Ainsi, les mélodies sont plus aisées à comprendre. De plus, ils utilisent à merveille leur duo guitar rythmique / guitare mélodique. Ainsi, sur un fond extrêmement violent et grave maintenu par la première et la basse surgit comme une giclée de sang d'une trachée ouverte des riffs suraigus provoqués par la deuxième guitare ("Desesperate Cry"). L'ensemble forme d'agréables transitions aux couplets vocaux. Bon, d'accord, au niveau des paroles, on n'a rien de fondamentalement nouveau, avec comme thèmes des sacrifices, des meurtres et autres joyeusetés, avec en bonus spécial un cri -ou plutôt un hurlement - maladif avec "Infected Voice", le morceau de clôture. Mais Arise présente bon nombre d'originalités en comparaison aux prémices du Metal, dans les années 1980 (comme quoi, c'est un mouvement qui tient un bon bout de temps, malgré les cris offensés des individus de la vieille école dont les oreilles peinent déjà à supporter un bon vieux Deep Purple...). Je jette une attention sur "Altered State" ( encore un morceau sur les bas côtés de la société ), et en particulier sur son introduction saisissante dans laquelle un hurlement bestial est lancé d'une façon très habile avec un simple accord de gratte. L'atmosphère originelle déjà sombre voit sa part de ténèbres se décupler, et nous sommes fin prêt pour la suite du titre...


Anecdote amusante, si vous achetez, ou plutôt quand vous achèterez Arise - si ce n'est pas déjà chose faite -, vous aurez alors accès à tout un panel de photographies plus ou moins ridicules (à leur décharge, c'était la mode en ces temps anciens), vous observerez que chaque membre exhibe fièrement un large tatouage au moins, généralement sur les bras. A présent, rendez-vous en fin de livret que votre humble serviteur a épluché tout spécialement pour vous (vous en avez, de la chance...), et vous pourrez lire l'identité de leurs tatoueurs... Ainsi, grâce à Sepultura, si d'aventure vous choisissez un jour de franchir le pas, vous saurez à qui vous adresser... Vous l'aurez deviné aux noms, Sepultura est un groupe brésillien. Ce qui ne les empêche pas de chanter en anglais. Dommage, je me demande ce qu'aurait donné du Thrash en Catalan... On peut les voir sur une adorable photographie en compagnie d'enfants en Afrique, ce qui provoque un certain contraste, mais passons. Pour conclure, Arise est l'un des meilleurs albums de Sepultura, relativement ignoré, cependant, à cause de la variation qu'il constitue par rapport à l'habitude, tout en restant du bon vieux Thrash joué avec une virtuosité certaine.


Note : ****1/2


Liste des morceaux :


1. Arise

2. Dead Embryonic Cells

3. Desesperate Cry

4. Murder

5. Subtraction

6. Altered State

7. Under Siege [Regnum Irae]

8. Meaningless Movements

9. Infected Voice


dimanche 16 mai 2010

CECIL TAYLOR : THE WORLD OF CECIL TAYLOR


De nombreuses rumeurs courent sur la mystérieuse identité de l'inventeur du free jazz. Afin de ne pas polémiquer sur ce sujet trop nébuleux, on se contentera de dire que Cecil Taylor en est l'un des principaux promoteurs. Certes, on peut citer Coltrane quelques décénies auparavant pour contrer cette affirmation, mais Taylor est à l'origine d'une véritable révolution dans le cadre du piano-jazz. Américain né en 1933 à New York, il a pu profiter de la prestigieuse école (un collège) locale de musique, grâce à laquelle il a pu développer une sensibilité musicale aigue et une culture qui lui permettront de devenir le géant qu'il est devenu. Cependant, il est passé par des phases assez expérimentales, des "bêta test" qui laissent un peu à désirer. Elles sont malgré tout intéressantes à écouter, comme c'est le cas du disque "The World Of Cecil Taylor".

D'aucuns qualifieront la musique de Cecil Taylor de bruitiste, dans un sens péjoratif. Vous pourrez répliquer d'un ton désinvolte que la "noise music", ça existe et que c'est vachement bien (toutes choses égales par ailleurs). Mais Taylor ne fait pas du noise, mais du free-jazz, un dérivé plus expérimental de la définition originale du jazz. Il part certes sur les mêmes bases, mais sa musique s'envole ensuite dans des dimensions moins règlementaires. Adieu la tradition tant aimée de la soul et des gammes tenues tout le morceau pour le maintenir en place ! Seule la contrebasse voit son rôle rester le même (et encore, elle vogue dans des gammes inédites au bon plaisir du musicien...). Plus que jamais, le batteur s'embrase sur des parties rythmiques ardues à suivre qui ne sont finalement réellement comprises que par lui-même. Et bien sûr, la grande innovation de Cecil Taylor a lieu au niveau du piano, qu'il fait rugir avec une virtuosité originale signée de sa patte, démontrant une fois encore -car ce disque des années 1960 est loin d'être son premier, si ce n'est la collaboration avec la maison CANDID, qu'il privilégiera de longs cycles durant encore - sa capacité à enchaîner des phrases musicales sans rien en commun, tantôt très mélodiques, tantôt plus grinçantes et percutantes. Jouez l'accord Do-Fa#, et vous aurez une idée minimaliste de ce que donnent des dizaines de minutes dans cette tonalité.

Le disque commence avec "Air", avec une introduction rageuse à la batterie, signée Dennis Charles. Puis un dialogue entre phrases pianistiques débute entre une voix colérique et hachée et une autre unie et plus douce. Enfin arrive Archie Shepp, un saxophoniste réputé dans l'univers du jazz, qui ajoute une teinte cuivrée à l'ensemble. C'est le morceau le plus agité de l'album, qui a été enregistré en plusieurs prises. Un amis de notre pianiste, qui assistait à la séance, parlait de "chaos contrôlé", qualificatif convenant parfaitement à la piste. Le morceau suivant, "This Nearly Was Mine", est une improvisation plus traditionnelle. Taylor s'en tient à une stricte composition blues, comme pour rappeler qu'il tire son inspiration de ce genre. Les deux derniers morceaux lui ressemblent plus, avec des séries d'accord, des enchaînements d'accords violents qui se succèdent avec une légèreté particulière à l'artiste.

Cependant, c'est l'une des plus grosses difficultés de ce disque de Cecil Taylor. Si bon nombre de passages sont parfaitement contrôlés, d'autres, plus obscurs, sont plus difficilement compréhensibles. On a alors presque l'impression de frime non retenue, d'un artiste qui joue n'importe quoi en se reposant sur sa réputation expérimental. Un morceau ne doit pas forcément être musical pour être bon. Mais il doit alors il y avoir une signification au "bruit" qui nous parvient. C'est un reproche applicable à bon nombre de groupes de musique bruitiste. Quel est le sens du morceau ? S'il faut être assez réceptif pour apprécier du Cecil Taylor, sa difficulté d'écoute ne justifie pas tout. Il met en valeur des enchaînements de sons, impressionnants certes mais pas si ardus pour un claviériste professionnel. D'où la sensation de frime parfois perceptible. Une fois encore, un morceau ne doit pas être difficile pour être bon, mais il faut faire la nuance avec l'action de faire croire à une réelle difficulté finalement inexistante. Fort heureusement, ces extraits sont très minoritaires dans The World Of Cecil Taylor et ne font que ternir l'allure d'un très bon disque, toutes choses égales par ailleurs, et on se laissera bercer par un jeu qui lui est si propre, et qui se refuse à toute fausse note involontaire -rendons à Cecil Taylor ce qui lui appartient.

Note : ***1/2

Liste des morceaux :

1. Air (8.45)

2. This Nearly Was Mine (10.46)

3. Port Of Call (4.14)

4. E.B. (9.55)

5. Lazy Afternoon (14.43)

samedi 15 mai 2010

HAWKWIND : SPACE RITUAL


Si vous aimez le space rock, vous ne pouvez pas ne pas connaître Hawkwind. Ce groupe plus que nébuleux en a surpris plus d'un par ses titres étranges ou par un mauvais goût très sensible. Ainsi, leur live le plus connu, Space Ritual datant de 1973 a pu choquer les âmes sensibles - s'il est possible que de tels individus aient pu aller voir Hawkwind en concert. Aussi, quelle idée d'embaucher une prostituée pour danser nue sur scène ! Et je ne parle même pas de l'ambiance malsaine et provocante que diffusent des lumières éphémères aux teintes douteuses... Et le tout finalisé par une pochette aussi psychédélique que sectaire, comprenant des signes aux significations peu évidentes. On a le droit à la totale, dans une atmosphère mystique, ce que suggère l'intitulé "Space Ritual".

En tant que groupe progressif à essais expérimentaux, Hawkwind montre une fois de plus sa capacité à plonger ses spectateurs dans le bain avec une introduction très spéciale et particulièrement spécifique à la bande. Ainsi est né "Earth Calling", un amoncellement inventif de sons tous plus bizarres les uns que les autres, impossibles à identifier, bien sûr (ah! Les miracles du Mini-Moog...) mais évocateurs d'une tentative de communication presque obscène avec des entités externes. Si vous entrez en possession du disque et du livret joint, vous aurez l'immense plaisir de connaître l'histoire en relation avec ce morceau très court. Si l'on oublie le fait qu'elle ait probablement été imaginée sous acide ( ou sous amphets, avec hawkwind, on ne sait jamais...), elle est finalement assez révélatrice de la mentalité obscure des musiciens, qui ont du adorer voir Star Wars... Sans transition, le groupe passe à l'un de leurs plus gros succès : "Born To Go". Ce titre est caractéristique de la musique Hawkwindienne : la basse de Lemy - futur fondateur de Motorhead, à la suite de son éjection douteuse d'Hawkwind - qui donne un tempo tant lourd que violent en parallèle avec le batteur Simon King, le roi des rythmes ésotérique, après, bien sûr, l'indétrônable percussionniste de Tool. Par dessus, les voix un peu éraillées d'à peu près tout le monde, et bien sûr leurs éternelles sonorités faites au synthétiseur (Del Dettmar, qui a l'air de bien s'amuser...). De temps en temps apparaît un saxophone ou une flûte, instruments fidèles à l'originalité du groupe.

Etrangement, ils ont fait passer Camel en première partie. Ce groupe progressif bien sympathique mais très doux a probablement juré en comparaison avec la violence débridée de la partie principale. Mais on pouvait presque s'y attendre. Hawkwind, les rois des contrastes, mélangent des chants douteux violents à de véritables récitations de poèmes sous fond de synthétiseur. Car ils ont un poète attitré, au nom de Bob Calvert. Bobby s'occupe aussi des "swazzle" -je tente encore de déterminer ce dont il s'agit précisément. En tout cas ils ne devaient pas beaucoup s'agiter sur scène, au risque omniprésent de s'empêtrer dans l'énorme tas informe de cables de tous types, masse monstrueuse qui a du être démêlée après le concert...

Une question que chacun peut se poser lors d'un concert d'Hawkwind : les musiciens sont-ils drogués sur scène ? Dans les années soixante dix, répondre "oui" ne constituait pas une prise de risques démesurée, surtout quand un champignon vénéneux, un dromadaire et un palmier sont présents en tête d'affiche... Quoi qu'il en fut pour Space Ritual, les membres d'Hawkwind se sont comportés ainsi que de véritables possédés, plus encore qu'en studio (ce qui n'est pas peu dire !), allure complétée par leur talent certain à effectuer des réglages spéciaux tant que spatiaux à travers les nombreux amplis, filtres et micros dont ils disposent. Ainsi, ils parviennent à donner la sensation d'être dans un autre univers, une autre dimension que les spectateurs à quelques mètres d'eux seulement. Cet effet appliqué à leurs voix est particulièrement saisissant, d'autant plus lors des récitations de textes de leur cru. Ils appliquent aussi cet effet aux deux gratteux, et bien sûr à la batterie, ce qui parvient presque (pas tout à fait, il ne faut pas exagérer) à reproduire un son semblable à celui de Nani Neumeier, éminent percussionniste de Guru Guru... Quant au synthé... Est-il vraiment nécessaire d'ajouter un effet bizarre à un synthé ? Dans tous les cas le résultat sera à la hauteur...

Ainsi, Hawkwind nous gratifie avec Space Ritual D'un double CD ( bah quoi ? C'est toujours une motivation supplémentaire...) merveilleux qui vous propulsera au pays des fées, des farfadets et des champignons à travers la tournée mémorable et transcendante du groupe le plus spacial de tous les temps et probablement l'un des plus shootés aussi... De quoi faire regretter à Lemy ses folles années de jeunesse !

Note : ****1/2

Liste des morceaux :

Disc 1

1. Earth Calling (1.46)

2. Born To Go (9.56)

3. Down Through The Night (6.16)

4. The Awakening (1.32)

5. Lord Of Light (7.21)

6. Black Corridor (1.51)

7. Space Is Deep (8.13)

8. Electronic No. 1 (2.26)

9. Orgone Accumulator (9.59)

10. Upside Down (2.43)

11. 10 Seconds Of Forever (2.05)

12. Brainstorm (9.20)

Disc 2

1. 7 By 7 (6.13)

2. Sonic Attack (2.54)

3. Time We Left This World Today (5.47)

4. Master Of The Universe (7.37)

5. Welcome To The Future (2.03)

Bonus Tracks

6. You Shouldn't Do That (6.55)

7. Master Of The Universe (7.26)

8. Born To Go (13.04)

vendredi 14 mai 2010

COIL : MUSICK TO PLAY IN THE DARK VOLUME 1


La première moitié des années 80 aura vu le raz de marée industriel à peine engagé s'abattre sur toute l'Europe pour se propager en une myriade de ruisseaux indépendants. Si l'implosion de Throbbing Gristle et la réincarnation de Genesis P-Orridge dans Psychic TV on donné le coup d'envoi à toute les dérives/délires imaginables par l'esprit d'un fanatique païen convaincu (du néofolk de Death In June au Dark Ambient de Lustmord en passant par la Dance de My Life With The Thrill Kill Kult au début des 90s), le plus fascinant de tout ces projets reste, à ce jour, Coil. Fœtus improbable régurgité par Psychic TV dés 1983, les frères siamois les plus mystérieux de tout les temps ramassent les étrons les plus puants de la new wave pour ériger une oeuvre aux pulsions les plus basses de l'homme.

Au commande, Peter Christopherson, ancien d'Hipgnosis, ingénieur du son, graphiste, et musicien à ses heures perdues, découpe furieusement les performances du jeune John Balance, créature au timbre insaisissable. Comme la plupart des rejetons de Genesis P-Orridge, Christopherson et Balance cultivent un désir de rester underground (les disques sont tirés à quantité homéopathique et les réeditions sont rares) ainsi qu'une passion qui va au delà de la musique : co-fondateurs du Temple Of Psychick Youth (organisation artistique douteuse prenant aisément le visage d'une secte ou simple délire club Harry Potter c'est au choix), le duo n'hésite pas à flirter avec les concept musicaux les plus délirants : de rituel en invocations douteuses, Coil parvient à tisser une musique d'un noir profond, sale, teintée d'un profond dégout pour l'industrie de la musique et le monde en général. Et si Scatology, malgré son terrifiant "Tainted Love" peut décevoir ceux qui attendaient mieux des auteurs du single "How To Destroy An Angel", Horse Rotorvator réussit en tout point là où son prédécesseur peinait à convaincre. C'est en sondant cet immense gouffre à espoir qu'on trouve quelque uns des morceaux de Coil les plus frappants : "The Anal Staircase", "Penetralia" "The Five Minute After Violent Death", et surtout "Ostia (The Death Of Pasolini)" toile Dalienne sanglante écrasant par sa beauté toute les tentatives des néofolkeux de Current 93 et Death In June (le groupe voyait dans le cinéaste assassiné une de ses plus grandes influences.)

Puis, pendant les cinq ans qui les séparent de leur prochain disque studio, Balance et Christopherson procrastinent, évitent le sujet, collaborent, sortent des remix, des démos, des lives de qualités variables, jusqu'à ce que le problème devienne inévitable. Love's Secret Domain va remettre à sa place toute une génération de branleurs accros aux biftons et aux rave party. En réinventant la Dance, la House et la Techno en générale, Coil fait valoir ses droit au côté de Psychic TV, les deux groupes s'intronisent pape de tout une vague qui déferle sur le monde entier. Puis c'est de nouveau le repos pour Coil qui s'éloigne peu à peu de la Dance et se perd à nouveau en side projects et collaborations douteuses : la bande originale de The Angelic Conversation de Derek Jarman se révèle être un monument d'ennui, Worship The Glitch est une catastrophe inécoutable. Et si le duo sort la tête hors de l'eau avec un disque de drone, Astral Disaster, c'est avec Musick To Play In The Dark Volume 1 que la rédemption salvatrice daigne enfin émerger.

Et qui sait ? Peut être que près d'une décennie de branlette stérile, de complaisance déplacé et d'autosatisfaction y sont finalement pour quelque chose quand à la réussite sans tache que représente la nouvelle livraison de Coil, achevée à l'aube du nouveau millénaire. Car loin d'avoir effectué un vain retour au source prétendument vivifiant, faux pas dans lequel de nombreux artistes tombent trop souvent, le duo n'a jamais sonné aussi en avance sur son temps.

Enfin le voila ce frisson que Coil avait perdu dans ses délires labyrinthiques, le soubresaut de terreur qui anime tout être normalement constitué à l'écoute de "The Anal Staircase" est toujours là, tapi au fond de "Are You Shivering?", recroquevillé dans le son de ce synthétiseur mort né qui remonte lentement le chemin des enfers jusqu'à éclater dans un grincement d'outre espace. Toujours là cette terreur lascive, ce désespoir dévorant, mais cette fois il vient du plus profond de notre être. Mais ce sonar menaçant laisse bientôt place à l'homme dans toute sa faiblesse : l'espace d'une minute les sanglots de Balance hachés par les machines de Christopherson retentissent seuls. Puis à l'unisson les deux thèmes s'enlacent, et laissent le texte s'écouler lentement. La voix de John Balance est plus vaste que le cosmos alors qu'il tente de décrire la lente plongée dans les ténèbres qui se commence et se termine avec l'Ecstasy.

"Are you shivering? Are you cold?
Are you bathed in silver or drowned in gold?
This dream's a vitality
[...]
O river of silver, O river of flowers
I lie down and shiver in your silver river
Out drips the last drop of this vital fluid"

Alors que les derniers coeurs de "Are You Shivering?" s'évanouissent, c'est le thème de "Red Birds Will Fly Out of the East and Destroy Paris in a Night" qui s'installe lentement. Fulgurance géniale, le duo brode à volonté sur un motif easy-listening, montant le morceau en une gigantesque fournaise où se côtoient nappes d'orgues, boucles folles et sample fugitifs. Le résultat est d'une rareté notable : comme assister au bombardement d'une ville à la place du pilote. Le brasier grandit jusqu'a une gigantesque saturation bruitiste qui réduit le grand incendie à quelques flammèches dans les dernières minutes du morceau.

Au tour de l'énigmatique "Red Queen" d'installer son ambiance, lentement, insidieusement, à coups de vagues bourdonnantes et claquantes, jusqu'à cet accueil d'outre-espace qui ouvre le bal et dessine le rythme effacé sur lequel le piano de Thighpaulsandra fait son intrusion : jouant sans thème, le clavier semble naviguer loin de tout port d'attache, impassible aux interrogations indéchiffrables du chanteur.

"Is it so unsafe when you are ?
Insecure in the space where you are?
Is it so, really so,
Is it more real?
Is it more yours?
Is it more yours?
Is it more real, for you,
Than it is for him or me?"

Inexorablement, la musique se fait de plus en plus insolite, de plus en plus abstraite et inconnue. Les faibles attaches qu'on gardait avec le monde réel sont enfin dénoués avec "Broccoli", mantra atonale sur rythme de radio détraquée et chœurs esquissés. Répété tout au long du morceau sur deux registres, chantés par Balance et Christopherson. Le poème de "Broccoli" reste à ce jour un des textes les plus obscurs de Coil.

"Wise words from the departing
Eat your greens, especially broccoli
Remember to say "thank you" for the things you haven't had
By working the soil we cultivate the sky
We embrace vegetable kingdom
The death of your father, the death of your mother
Is something you prepare for

All your life
All their life"

Arrive enfin le dernier stade de délire de ce premier volume des musiques à écouter dans le noir : "Strange Birds" est là pour rappeler à la génération "Dark Ambient" qui sont les véritables inventeurs de la musique qui s'amuse à faire peur en se passant d'instrument. Des bruits d'oiseaux ponctuées de bourdonnements de synthétiseurs, entrainés par une boite à rythme grésillante et un bref délire occultiste... Pourtant "Strange Birds" est au moins dix fois plus efficace que la plupart des bouses que Coil a pondue au cours des années 90. En fait, la structure réelle du morceau et la longue montée sonore des synthétiseurs qui laisse peu à peu place à ces cris d'oiseau obsédant installe bel et bien une atmosphère de paranoïa, de malaise.

Et comme chacun sait, le plus beau arrive toujours à la fin. Et si "The Dreamer Is Still Asleep" amorce un retour à une certaine réalité musicale (une mélodie, un rythme...) c'est pour mieux nous faire plonger dans l'imagination fascinante de Coil. Voila ce qu'est "The Dreamer Is Still Asleep", le plus beau rêve jamais mis en musique. Un songe sans fin porté par une mélodie fantomatique qui semble pouvoir se répéter jusqu'à la nuit des temps, des nappes d'orgues, des cœurs s'étirant sans fin, et des paroles d'une beauté énigmatique.
Et quand enfin les dix minutes de cet ultime flagrance hypnotique sont terminées et qu'on crois le disque conclus, on tente enfin d'émerger de Musick To Play In The Dark Volume 1, mais rien n'y fais. Si "Are You Shivering?" est une porte d'entrée, celle ouverte par "The Dreamer Is Still Asleep" ne fait que vous entrainer encore un peu plus dans cet univers si étranger.

A vrai dire, il n'existe pas de porte de sortie...


"Hush/ may I ask you all for silence?/ The dreamer is still asleep..."

Note : *****

Liste des morceaux :

1. "Are You Shivering?"
2. "Red Bird Will Fly Out Of The East And Destroy Paris In One Night
3. "Red Queen"
4. "Broccoli"
5. "Strange Birds"
6. " The Dreamer Is Still Asleep"

Du même artiste :

Vous allez aimer :

- The Ape Of Naple
- Astral Disaster
- Horse Rotorvater
- Black Antlers

A éviter :

- Musick To Play In The Dark Volume 2
- The Angelic Conversation
- Worship The Glitch








SPARKS : KIMONO MY HOUSE


Des années 1970 est issue une tripotée de groupes décalés ou complètement névrosés (pas tous bons, comme aimerait nous le faire croire la rumeur...), et les Sparks - ou plutôt Sparks tout court - en sont un exemple particulièrement remarquable. Deux bonhommes américains, Ron et son frère Russel Mael, ont mis au monde ce groupe qui sévit aujourd'hui encore dans nos discothèques... Deux ans après la création officielle de Sparks, en 1974, ils ont sorti leur chef d'œuvre encore inégalé, je cite Kimono My House, qui ne pourra être placé, ainsi que l'ensemble de leurs créations, que derrière la catégorie "indépendant", ou "Sparks" pour les tatillons. L'on peut noter que c'est cet album qui les a, dans une certaine mesure, rendus célèbres au regard de ceux qui prétendent à juste titre écouter de la musique.

Kimono my House débute sur leur titre le plus célèbre : "This Town Ain't Big Enough For The Both Of Us" qui sera réutilisé à diverses occasions (la dernière en date : "Kick Ass" -sisi, écoutez bien...). Une mélodie entêtante répétée en boucle enfle avant le début réel du morceau, ce qui constitue une introduction agréable au disque. Les deux frères se serviront de ce que leur époque leur propose : un piano, un orgue, quelques discrets synthés, batterie, basse, gratte et tout le tralala, ainsi que les (indispensables) bruitages de sons de pistolet et autres sonorités qui ressortent comme autant de cerises sur le gâteau. Les deux Mael se distinguent grâce à leurs voix aigues, mais cependant claire et douce - sans failles. Un vrai plaisir ! Parfois, ils font même penser à une paire de jeunes femmes dans un studio d'enregistrement tellement leur jeu vocal est naturel et précis. Ils ne laissent que peu de surprise dans leur musique, annonçant dans une intro au début de la quasi-totalité des morceaux la couleur souvent sucrée de ce qui va suivre. On se laisse ainsi bercer par des mélodies simples, ou à peine plus complexe, et par la voix formidable des deux compères.

Le piano a un rôle prédominant au sein de leurs productions. Il suit, plus régulièrement que la guitare, la mélodie et accompagne les chanteurs, confortant l'idée de la douceur élaborée des morceaux. Sparks est assurément l'un des groupes les plus déjantés de son époque. Avant Mr. Bungle, ils n'hésitent pas à donner un aspect de dessins animés à leurs mélodies, ou de boîte à musique avec un xylophone... ce qui rend leurs créations si originales. Ils se renouvellent sans problèmes, non seulement dans leurs morceaux mais aussi à travers le temps. Ainsi, Kimono My House se distingue nettement de Propaganda, Hello Young Lover, ou encore de leur dernière création, Exotic Creature Of The Deep. Mais ils ne poussent pas le dépaysement jusqu'au sein des albums.

On peut noter un duo vocal des deux frangins dans Equator : tandis que l'un répète le terme "equator", l'autre part en improvisation en chantant, à la façon d'un guitariste pris dans un solo endiablé. Mais avec sa voix. Cet extrait est un bon exemple de leur capacité... Ils ont ainsi le talent de créer des mélodies à vocation. On en retrouve d'ailleurs plusieurs dans des oeuvres cinématographiques diverses, dans des publicités... Cependant, pour une raison qui continue à m'échapper, sur trente individus bêta, un seul aura connaissance du nom "Sparks"... C'est l'un des cas dans lesquels la qualité de la musique dépasse la célébrité des musiciens. Mais au fond, est-ce un mal ? Peut-être est-ce l'un des éléments qui permettent à Sparks de demeurer aussi peu commercial et de continuer à tirer de bons albums - bien que tout ne soit pas parfait dans l'ensemble de leur œuvre, toujours pas arrivée à terme d'ailleurs... Enfin bon, ils ont malgré tout suffisamment de renommée pour ne pas être rejetés par leur éditeurs, et les papis qu'ils sont aujourd'hui continuent à bosser ferme pour notre plus grand plaisir... sans que leur voix change d'un iota. Miracle de la science, d'une entité supérieure musicale ou du corps humain, le fait nous arrange bien et nous pouvons espérer écouter leurs productions de longues années durant. A présent, une note évidente pour leur meilleur album :

Note : *****

Liste des morceaux :

1.This Town Ain't Big Enough For The Both Of Us

2.Amateur Hour

3. Falling In Love With Myself Again

4. Here In Even

5. Thank God It's Not Christmas

6. Hasta Manana Monsieur

7.Talent Is An Asset

8. Complaints

9. In My Family

10. Equator

11. Barbecutie

12. Lost And Found