vendredi 14 mai 2010

COIL : MUSICK TO PLAY IN THE DARK VOLUME 1


La première moitié des années 80 aura vu le raz de marée industriel à peine engagé s'abattre sur toute l'Europe pour se propager en une myriade de ruisseaux indépendants. Si l'implosion de Throbbing Gristle et la réincarnation de Genesis P-Orridge dans Psychic TV on donné le coup d'envoi à toute les dérives/délires imaginables par l'esprit d'un fanatique païen convaincu (du néofolk de Death In June au Dark Ambient de Lustmord en passant par la Dance de My Life With The Thrill Kill Kult au début des 90s), le plus fascinant de tout ces projets reste, à ce jour, Coil. Fœtus improbable régurgité par Psychic TV dés 1983, les frères siamois les plus mystérieux de tout les temps ramassent les étrons les plus puants de la new wave pour ériger une oeuvre aux pulsions les plus basses de l'homme.

Au commande, Peter Christopherson, ancien d'Hipgnosis, ingénieur du son, graphiste, et musicien à ses heures perdues, découpe furieusement les performances du jeune John Balance, créature au timbre insaisissable. Comme la plupart des rejetons de Genesis P-Orridge, Christopherson et Balance cultivent un désir de rester underground (les disques sont tirés à quantité homéopathique et les réeditions sont rares) ainsi qu'une passion qui va au delà de la musique : co-fondateurs du Temple Of Psychick Youth (organisation artistique douteuse prenant aisément le visage d'une secte ou simple délire club Harry Potter c'est au choix), le duo n'hésite pas à flirter avec les concept musicaux les plus délirants : de rituel en invocations douteuses, Coil parvient à tisser une musique d'un noir profond, sale, teintée d'un profond dégout pour l'industrie de la musique et le monde en général. Et si Scatology, malgré son terrifiant "Tainted Love" peut décevoir ceux qui attendaient mieux des auteurs du single "How To Destroy An Angel", Horse Rotorvator réussit en tout point là où son prédécesseur peinait à convaincre. C'est en sondant cet immense gouffre à espoir qu'on trouve quelque uns des morceaux de Coil les plus frappants : "The Anal Staircase", "Penetralia" "The Five Minute After Violent Death", et surtout "Ostia (The Death Of Pasolini)" toile Dalienne sanglante écrasant par sa beauté toute les tentatives des néofolkeux de Current 93 et Death In June (le groupe voyait dans le cinéaste assassiné une de ses plus grandes influences.)

Puis, pendant les cinq ans qui les séparent de leur prochain disque studio, Balance et Christopherson procrastinent, évitent le sujet, collaborent, sortent des remix, des démos, des lives de qualités variables, jusqu'à ce que le problème devienne inévitable. Love's Secret Domain va remettre à sa place toute une génération de branleurs accros aux biftons et aux rave party. En réinventant la Dance, la House et la Techno en générale, Coil fait valoir ses droit au côté de Psychic TV, les deux groupes s'intronisent pape de tout une vague qui déferle sur le monde entier. Puis c'est de nouveau le repos pour Coil qui s'éloigne peu à peu de la Dance et se perd à nouveau en side projects et collaborations douteuses : la bande originale de The Angelic Conversation de Derek Jarman se révèle être un monument d'ennui, Worship The Glitch est une catastrophe inécoutable. Et si le duo sort la tête hors de l'eau avec un disque de drone, Astral Disaster, c'est avec Musick To Play In The Dark Volume 1 que la rédemption salvatrice daigne enfin émerger.

Et qui sait ? Peut être que près d'une décennie de branlette stérile, de complaisance déplacé et d'autosatisfaction y sont finalement pour quelque chose quand à la réussite sans tache que représente la nouvelle livraison de Coil, achevée à l'aube du nouveau millénaire. Car loin d'avoir effectué un vain retour au source prétendument vivifiant, faux pas dans lequel de nombreux artistes tombent trop souvent, le duo n'a jamais sonné aussi en avance sur son temps.

Enfin le voila ce frisson que Coil avait perdu dans ses délires labyrinthiques, le soubresaut de terreur qui anime tout être normalement constitué à l'écoute de "The Anal Staircase" est toujours là, tapi au fond de "Are You Shivering?", recroquevillé dans le son de ce synthétiseur mort né qui remonte lentement le chemin des enfers jusqu'à éclater dans un grincement d'outre espace. Toujours là cette terreur lascive, ce désespoir dévorant, mais cette fois il vient du plus profond de notre être. Mais ce sonar menaçant laisse bientôt place à l'homme dans toute sa faiblesse : l'espace d'une minute les sanglots de Balance hachés par les machines de Christopherson retentissent seuls. Puis à l'unisson les deux thèmes s'enlacent, et laissent le texte s'écouler lentement. La voix de John Balance est plus vaste que le cosmos alors qu'il tente de décrire la lente plongée dans les ténèbres qui se commence et se termine avec l'Ecstasy.

"Are you shivering? Are you cold?
Are you bathed in silver or drowned in gold?
This dream's a vitality
[...]
O river of silver, O river of flowers
I lie down and shiver in your silver river
Out drips the last drop of this vital fluid"

Alors que les derniers coeurs de "Are You Shivering?" s'évanouissent, c'est le thème de "Red Birds Will Fly Out of the East and Destroy Paris in a Night" qui s'installe lentement. Fulgurance géniale, le duo brode à volonté sur un motif easy-listening, montant le morceau en une gigantesque fournaise où se côtoient nappes d'orgues, boucles folles et sample fugitifs. Le résultat est d'une rareté notable : comme assister au bombardement d'une ville à la place du pilote. Le brasier grandit jusqu'a une gigantesque saturation bruitiste qui réduit le grand incendie à quelques flammèches dans les dernières minutes du morceau.

Au tour de l'énigmatique "Red Queen" d'installer son ambiance, lentement, insidieusement, à coups de vagues bourdonnantes et claquantes, jusqu'à cet accueil d'outre-espace qui ouvre le bal et dessine le rythme effacé sur lequel le piano de Thighpaulsandra fait son intrusion : jouant sans thème, le clavier semble naviguer loin de tout port d'attache, impassible aux interrogations indéchiffrables du chanteur.

"Is it so unsafe when you are ?
Insecure in the space where you are?
Is it so, really so,
Is it more real?
Is it more yours?
Is it more yours?
Is it more real, for you,
Than it is for him or me?"

Inexorablement, la musique se fait de plus en plus insolite, de plus en plus abstraite et inconnue. Les faibles attaches qu'on gardait avec le monde réel sont enfin dénoués avec "Broccoli", mantra atonale sur rythme de radio détraquée et chœurs esquissés. Répété tout au long du morceau sur deux registres, chantés par Balance et Christopherson. Le poème de "Broccoli" reste à ce jour un des textes les plus obscurs de Coil.

"Wise words from the departing
Eat your greens, especially broccoli
Remember to say "thank you" for the things you haven't had
By working the soil we cultivate the sky
We embrace vegetable kingdom
The death of your father, the death of your mother
Is something you prepare for

All your life
All their life"

Arrive enfin le dernier stade de délire de ce premier volume des musiques à écouter dans le noir : "Strange Birds" est là pour rappeler à la génération "Dark Ambient" qui sont les véritables inventeurs de la musique qui s'amuse à faire peur en se passant d'instrument. Des bruits d'oiseaux ponctuées de bourdonnements de synthétiseurs, entrainés par une boite à rythme grésillante et un bref délire occultiste... Pourtant "Strange Birds" est au moins dix fois plus efficace que la plupart des bouses que Coil a pondue au cours des années 90. En fait, la structure réelle du morceau et la longue montée sonore des synthétiseurs qui laisse peu à peu place à ces cris d'oiseau obsédant installe bel et bien une atmosphère de paranoïa, de malaise.

Et comme chacun sait, le plus beau arrive toujours à la fin. Et si "The Dreamer Is Still Asleep" amorce un retour à une certaine réalité musicale (une mélodie, un rythme...) c'est pour mieux nous faire plonger dans l'imagination fascinante de Coil. Voila ce qu'est "The Dreamer Is Still Asleep", le plus beau rêve jamais mis en musique. Un songe sans fin porté par une mélodie fantomatique qui semble pouvoir se répéter jusqu'à la nuit des temps, des nappes d'orgues, des cœurs s'étirant sans fin, et des paroles d'une beauté énigmatique.
Et quand enfin les dix minutes de cet ultime flagrance hypnotique sont terminées et qu'on crois le disque conclus, on tente enfin d'émerger de Musick To Play In The Dark Volume 1, mais rien n'y fais. Si "Are You Shivering?" est une porte d'entrée, celle ouverte par "The Dreamer Is Still Asleep" ne fait que vous entrainer encore un peu plus dans cet univers si étranger.

A vrai dire, il n'existe pas de porte de sortie...


"Hush/ may I ask you all for silence?/ The dreamer is still asleep..."

Note : *****

Liste des morceaux :

1. "Are You Shivering?"
2. "Red Bird Will Fly Out Of The East And Destroy Paris In One Night
3. "Red Queen"
4. "Broccoli"
5. "Strange Birds"
6. " The Dreamer Is Still Asleep"

Du même artiste :

Vous allez aimer :

- The Ape Of Naple
- Astral Disaster
- Horse Rotorvater
- Black Antlers

A éviter :

- Musick To Play In The Dark Volume 2
- The Angelic Conversation
- Worship The Glitch








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