jeudi 2 septembre 2010

JOHN COLTRANE : A LOVE SUPREME


Le Free Jazz est un genre aux limites floues, dont on peut difficilement repérer les précurseurs et que l'on ne peut assurément définir avec une précision scientifique, d'autant plus que ce terme est utilisé aujourd'hui encore pour des artistes dont le chemin est sensiblement différent de celui des vieux de la vieille école. Parmi eux, l'un des plus éminents est John Coltrane, saxophoniste et compositeur de talent aux idées novatrices. Il rejette derrière lui toute structure traditionnelle des papas du Jazz pour suivre sa propre voie, plus chaotique, confuse, ethérée, sans perdre ses objectifs de vue. Il doit à cette capacité peu commune sa renommée, et surtout, l'Oeuvre splendide qu'il nous a laissé. Avec son disque le plus aboutit, il ne serait pas inconvenant d'affirmer qu'il a alors écrit quelques pages de la Bible du Jazz, et ce d'un point de vue tant métaphorique que littéral...

Dans ces quatre versets de pur bonheur auditif, Coltrane nous octroie son amour suprême, le plus fort, de celui en qui il croit le plus. Chrétien convaincu, il loue ainsi le Seigneur à travers ce qu'il parvient le mieux à produire, de la musique, aussi intemporelle que celui qu'il adore. Dans la première partie, suite à une courte introduction au saxophone, il laisse à son bassiste, son pianiste et son batteur de talent (respectivement Jimmy Garrison, McCoy Tyner et Elvins Jones, tous trois des musiciens tant réputés que respectés dans le milieu) entamer le morceau. Une véritable opposition se met en place, les tonalités et les rythmes s'affrontent longuement dans un ensemble d'une complexité absolue, quand soudain, un silence battu par les sons étouffés de la contrebasse et de la batterie se fait et, sous un déluge harmonieux de piano, la voix veloutée de Coltrane surgit du tréfond chaotique.

"A love supreme. A love supreme. A love Supreme."

Ainsi Coltrane psalmodie-t-il son amour de Dieu, avant d'être lentement éteint par un doux solo de contrebasse.

Et le saxophone lumineux se refait entendre ! Pour bientôt laisser place à McCoy Tyner, qui se lance dans une improvisation pleine d'une virtuosité fantastique d'agilité, qui conserve toutefois une humilité propre au contexte. A son apogée le groupe reprend le fil musical avec enthousiasme pour virevolter vers d'autres horizons... Nul couplet ni refrain ne vient entraver cet épanouissement musical intense. Seule la musique compte, et elle apparaît dans toute son émotion, maintenue jusqu'à la note finale. Le grand spectacle vient ensuite, en introduction de troisième partie, avec un impressionant solo de batterie. Elvin Jones se débat tel un forcené avec son attirail percutant, et ses collègues le rejoignent bientôt avec une fougue similaire, pour reprendre la longue route à sens unique que les artistes ont choisi de suivre. Il s'agit réellement de Jazz libre, délivré de toute règle, de toute définition traditionnelle. Leur unique obstacle est leur imagination, pétillante d'invention et d'audace, qui conserve néanmoins un sérieux de rigueur pour la réalisation d'une tâche si ardue. Il est sensible qu'ils ont franchi avec le plus grand succès ce défi fou qu'ils s'imposaient.

Le dernier morceau au nom éloquent et bien choisi, "Psalm", est empreint d'une tristesse toute particulière, crachée par le pieux saxophoniste, sous fond de roulements de tambours, de déluges de cymbales et d'enchainement bien sombres d'accords de piano. Ce déchaînement d'émotions est lui aussi, vous l'aurez compris, voué à Dieu. Peut être est-ce un quelconque regret inexprimé, ou une puissante humilité de Coltrane face à l'immensité du Seigneur, mais cessons là ces hasardeuses hypothèses. Toujours est-il qu'il y a un profond revirement de tonalités, la musique s'assombrissant subitement suite à un enthousiasme et une ferveur peu cachés, qui dévoile une autre facette du disque; qui n'aura cessé de surprendre ses auditeurs par son originalité tout au long de l'écoute.

On ne peut que s'incliner devant la fantastique dévotion des artistes apportée aux quatre parties de ce chef d'oeuvre, qui unit la folie chaotique humaine à l'ordre bienveillant divin, la musique servant de ciment dans ce rapport si particulier. Se détachant de toute règle, ce quatuor de talentueux musiciens a pu produire un prodigieux trésor auditif, qui restera longtemps ou à jamais dans les annales du Free Jazz. Beaucoup considèrent aussi cet album comme étant l'oeuvre la plus aboutie de John Coltrane.

Note : *****

Liste des morceaux :

1. Part 1 : Acknowledgement (7.42)
2. Part 2 : Resolution (7.19)
3. Part 3 : Pursuance (10.42)
4. Part 4 : Psalm (7.02)

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