dimanche 16 mai 2010

CECIL TAYLOR : THE WORLD OF CECIL TAYLOR


De nombreuses rumeurs courent sur la mystérieuse identité de l'inventeur du free jazz. Afin de ne pas polémiquer sur ce sujet trop nébuleux, on se contentera de dire que Cecil Taylor en est l'un des principaux promoteurs. Certes, on peut citer Coltrane quelques décénies auparavant pour contrer cette affirmation, mais Taylor est à l'origine d'une véritable révolution dans le cadre du piano-jazz. Américain né en 1933 à New York, il a pu profiter de la prestigieuse école (un collège) locale de musique, grâce à laquelle il a pu développer une sensibilité musicale aigue et une culture qui lui permettront de devenir le géant qu'il est devenu. Cependant, il est passé par des phases assez expérimentales, des "bêta test" qui laissent un peu à désirer. Elles sont malgré tout intéressantes à écouter, comme c'est le cas du disque "The World Of Cecil Taylor".

D'aucuns qualifieront la musique de Cecil Taylor de bruitiste, dans un sens péjoratif. Vous pourrez répliquer d'un ton désinvolte que la "noise music", ça existe et que c'est vachement bien (toutes choses égales par ailleurs). Mais Taylor ne fait pas du noise, mais du free-jazz, un dérivé plus expérimental de la définition originale du jazz. Il part certes sur les mêmes bases, mais sa musique s'envole ensuite dans des dimensions moins règlementaires. Adieu la tradition tant aimée de la soul et des gammes tenues tout le morceau pour le maintenir en place ! Seule la contrebasse voit son rôle rester le même (et encore, elle vogue dans des gammes inédites au bon plaisir du musicien...). Plus que jamais, le batteur s'embrase sur des parties rythmiques ardues à suivre qui ne sont finalement réellement comprises que par lui-même. Et bien sûr, la grande innovation de Cecil Taylor a lieu au niveau du piano, qu'il fait rugir avec une virtuosité originale signée de sa patte, démontrant une fois encore -car ce disque des années 1960 est loin d'être son premier, si ce n'est la collaboration avec la maison CANDID, qu'il privilégiera de longs cycles durant encore - sa capacité à enchaîner des phrases musicales sans rien en commun, tantôt très mélodiques, tantôt plus grinçantes et percutantes. Jouez l'accord Do-Fa#, et vous aurez une idée minimaliste de ce que donnent des dizaines de minutes dans cette tonalité.

Le disque commence avec "Air", avec une introduction rageuse à la batterie, signée Dennis Charles. Puis un dialogue entre phrases pianistiques débute entre une voix colérique et hachée et une autre unie et plus douce. Enfin arrive Archie Shepp, un saxophoniste réputé dans l'univers du jazz, qui ajoute une teinte cuivrée à l'ensemble. C'est le morceau le plus agité de l'album, qui a été enregistré en plusieurs prises. Un amis de notre pianiste, qui assistait à la séance, parlait de "chaos contrôlé", qualificatif convenant parfaitement à la piste. Le morceau suivant, "This Nearly Was Mine", est une improvisation plus traditionnelle. Taylor s'en tient à une stricte composition blues, comme pour rappeler qu'il tire son inspiration de ce genre. Les deux derniers morceaux lui ressemblent plus, avec des séries d'accord, des enchaînements d'accords violents qui se succèdent avec une légèreté particulière à l'artiste.

Cependant, c'est l'une des plus grosses difficultés de ce disque de Cecil Taylor. Si bon nombre de passages sont parfaitement contrôlés, d'autres, plus obscurs, sont plus difficilement compréhensibles. On a alors presque l'impression de frime non retenue, d'un artiste qui joue n'importe quoi en se reposant sur sa réputation expérimental. Un morceau ne doit pas forcément être musical pour être bon. Mais il doit alors il y avoir une signification au "bruit" qui nous parvient. C'est un reproche applicable à bon nombre de groupes de musique bruitiste. Quel est le sens du morceau ? S'il faut être assez réceptif pour apprécier du Cecil Taylor, sa difficulté d'écoute ne justifie pas tout. Il met en valeur des enchaînements de sons, impressionnants certes mais pas si ardus pour un claviériste professionnel. D'où la sensation de frime parfois perceptible. Une fois encore, un morceau ne doit pas être difficile pour être bon, mais il faut faire la nuance avec l'action de faire croire à une réelle difficulté finalement inexistante. Fort heureusement, ces extraits sont très minoritaires dans The World Of Cecil Taylor et ne font que ternir l'allure d'un très bon disque, toutes choses égales par ailleurs, et on se laissera bercer par un jeu qui lui est si propre, et qui se refuse à toute fausse note involontaire -rendons à Cecil Taylor ce qui lui appartient.

Note : ***1/2

Liste des morceaux :

1. Air (8.45)

2. This Nearly Was Mine (10.46)

3. Port Of Call (4.14)

4. E.B. (9.55)

5. Lazy Afternoon (14.43)

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