mardi 5 janvier 2010

CECIL TAYLOR : UNIT STRUCTURES


Bon, selon un sondage effectué sur des types qui ne s'y connaissent pas vraiment, qui ont simplement vu ou entendu les grands classiques, que vont ils répondre si, d'aventure, nous leur demandions ce que le mot "jazz" évoque pour eux. Il est à parier que la réponse, presque invariable, sera : "le gars sombre avec son machin doré entre les lèvres". Oui, monsieur. Cela s'appelle un saxophone. Non, monsieur, ce n'est pas représentatif du jazz. Mais c'est l'idée que l'on risque d'avoir de ce genre à la fois si et si peu connu quand on ne s'y est pas intéressé. Trop sont victimes des stéréotypes habituels. "Un grand compositeur de Jazz ? Oui, bien sûr : Miles Davis, John Coltrane, Ray Charles et cet autre type avec un saxo... ou une trompette, je sais plus". Avec la propagation de masse des images de ces grands jazzmen en train de jouer du cuivre, on ne pense plus qu'à eux. Tout de suite, on peut s'imaginer qu'un saxo est indispensable à une mélodie de Jazz, et q'un morceau n'est rien sans un gus charismatique pour souffler dedans. Si l'on approfondit un tant soit peu l'écoute de ce genre, on se rend rapidement compte que chaque instrument, de la batterie au cuivre, a un rôle d'importance à peu près égale. Simplement, les cuivres étant des instruments plus sonores que la moyenne, l'on peut avoir tendance à ne retenir qu'eux. Bon, je noircie un peu le tableau, mais c'est une approche comme une autre de la situation.

Mais au milieu de cette horde de compositeurs et saxophonistes par dessus le marché, qui surgit ? Des personnalités telles que Cecil Taylor, qui, à l'instar d'autres compositeurs comme Christian Vander (eh oui... C'est du Jazz, Magma...) ou John Medeski, présente le Jazz à travers son piano. N'empêche... Vous imaginez, du Miles Davis sans piano ? Une série de sont aigus et sifflants qui n'ont pas de tonalités plus légères pour les adoucir ? Inécoutable... (bon, ok, sauf pour les fans inconditionnels de solos crissants et désagréables...). Quoi qu'il en soit, le compositeur qu'est Cecil Taylor est au piano, ce qui nous fait porter une attention toute particulière sur cet instrument. Et pourtant, sa petite bande de joyeux Jazzmen est composée d'un trompétiste, de deux saxophonistes (dont un flûtiste), de deux basses et d'une batterie en plus du clavier... Ce dernier devrait donc passer à peu près inaperçu face à cet arsenal mais il n'en est rien. La magie du Jazz opère. Chacun prend son importance dans le groupe, non pas à la suite, par une succession de solos, comme il est usuellement d'usage dans la musique en général, mais tous ensemble, en même temps. On ne serait imaginer une seule seconde un instant de Jazz sans tout cet attirail qui produit un si merveilleux effet. Quand on s'en rend compte, la question qui risque de revenir est : "Mais comment ai-je pu vivre sans ça ?". Mystère...

Photo colorée multipliée à la Andy Warrol, cette pochette pourrait presque nous faire penser à un produit de la consommation de masse... Pourtant, Unit Structure est de ces albums difficile à écouter sans un entraînement minimum. Tous les musiciens sont certes très doués, la musique a été composée avec le plus grand soin par Cecil Taylor, mais l'absence presque permanente de mélodie peut en perturber plus d'un. Pas évident d'écouter avec plaisir un fouilli indescriptible de notes désagréables et d'une baterie qui, au lieu de tenir un rythme, effectue de véritables prouesses musicales (oui, j'ai bien dit "musicales") effrayantes de difficulté... Mais, une fois encore, il suffit d'aller au fond de la musique, car derrière ce rempart sonore inécoutable se dissimule de véritables merveilles musicales. Les cuivres crachent des parties effrénées parfaitement en rythme et en accord avec la baterie, et les basses qui suivent les grandes lignes du Jazz adaptées aux situations, et surtout le piano. Il faut le préciser : le jeu de Cecil Taylor ferait passer Keith Emerson (oui oui, le génial clavier d'Emerson, Lake and Palmer) au rang d'élève de première année de piano... Oui, c'est assez désespérant à entendre quand on étudie cet instrument. Cette fois ci, Cecil Taylor ne se contente pas, à l'instar des bassistes, de suivre scolairement les grandes gammes du Jazz en les modifiant lègèrement. Il les reprend, les amplifie de façon absolument extraordinaire et les disperse dans tout le morceau. Il s'agit probablement d'un des niveaux les plus élevés auxquels l'on peut accéder dans le Jazz, un genre Dieu sait à quel point difficile à jouer.

Les morceaux sont de durée standard : cinq pistes de sept à dix-sept minutes (bah, standard dans le Jazz, quoi...). 56.27 minutes de pur plaisir enregistrées en 1966 (non, je suis nul en maths. C'est marqué sur le livret...). Si vous aimez le piano dans le Jazz, Unit Structures est fait pour vous. Si vous êtes simplement amateurs de Jazz, même un peu développé, cet album est aussi fait pour vous. Son unique défaut : son manque d'accessibilité à un public non avertit...

Note : ****

Liste des morceaux :

1. Steps (10.15)

2. Enter, Evening (Soft Line Structure) (11.03)

3. Enter, Evening (Alternate Take) (10.06)

4. Unit Structure/As Of A Now/Section (17.45)

5. Tales (8 Whisps) (7.10)

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